Avec « Nous sommes septembre », Flore Grimaud nous parle d’amour
Spectacle funambule qui avance avec la grâce de son duo d’interprètes sur le fil du souvenir, du fantasme, du rêve et du réel, Nous sommes septembre parle du sentiment amoureux, tout simplement. Et de son pendant inéluctable, sa fin. À l’écriture et au plateau, Flore Grimaud est un astre magnétique, un soleil où se brûler les ailes, et son texte un bijou de charme où éclate sans cesse une vitalité folle.
Dans la petite salle haut perchée du Théâtre de la Reine Blanche, dans ce grenier du théâtre déjà habité par la mémoire de Marie Curie qui lui prête son nom, Flore Grimaud et son équipe réveillent d’autres souvenirs et de nouveaux fantômes, des silhouettes évanescentes, des enregistrements de voix, le temps lointain de l’enfance, un couple de cinéma mythique et fantasmé, Alain Delon et Romy Schneider, le couple de ses propres parents qui vole en éclats dans le carnage de leur séparation. Et dans leur ombre portée, c’est l’amour qui se lève, celui dont on rêve, cousu de glamour, qui nous tient debout, précieux vecteur de vitalité qui donne du sens à l’existence. Celui dont on souffre aussi, qui nous brûle de l’intérieur et nous dévaste quand il faillit. Celui qui se tisse, patiemment, entre deux blessures qui ne demandent qu’à être réparées.
« Ce soir nous sommes septembre / Et j’ai fermé ma chambre / Le soleil n’y entrera plus / Tu ne m’aimes plus », chantait Romy Schneider de sa voix langoureuse et languissante, triste et désenchantée, au générique du film de Claude Sautet, Les Choses de la vie. Le titre de ce spectacle sur le fil qui semble naviguer entre les mondes emprunte à la mélancolie du désamour, au mystère du cinéma, aux paroles de cette chanson d’un autre temps, à l’automne des relations qui s’étiolent. Il charrie dans sa traine la suite et la chute du refrain : « Tu ne m’aimes plus ». Flore Grimaud a 14 ans quand ses parents se séparent, marquant au fer rouge sa jeunesse d’un avant et d’un après irréconciliables. C’est depuis cette brèche qu’elle écrit aujourd’hui ce duo pour un homme et une femme qui se glissent dans plusieurs peaux par la magie de l’écriture et du théâtre. Parce qu’il lui a fallu combler cette désillusion fracassante qui a coupé en deux sa jeunesse, en projetant l’amour ailleurs, sur l’écran des films compagnons et des vedettes de l’époque. Romy Schneider, Alain Delon, qu’elle rencontrera en vrai, devenu au fil des lettres et entrevues un confident, un ami.
À la mise en scène de ce pas de deux funambule qui se meut au beau milieu des spectateur·rices divisé·es en deux, Heidi-Éva Clavier orchestre avec sensibilité ce délicat équilibre entre euphorie amoureuse et douleur insensée de la rupture. Elle donne à cette partition poétique et dialogique un espace où s’incarner, un rythme où se lover. Elle ne cherche ni à rationaliser ni à expliquer, mais ose le voyage à l’aveugle entre les époques, les lieux, les personnages, ce défilé de scènes volatiles qui se glissent dans ce dispositif bi-frontal judicieux. Sans balise claire qui réduirait le mystère de ce texte aussi léger que grave, délectable. Les interprètes sont littéralement portés par la grâce, complices, accordés. Flore Grimaud est une fleur, une étoile, une star de cinéma, un papillon de nuit qui se cogne à l’obscurité sans jamais perdre de sa lumière. Elle habite son corps, l’espace et les mots avec une gourmandise communicative. Chaque phrase est une mélodie, un élan, une fantaisie. À ses côtés, Manuel Durand fait contrepoint, posé quand elle virevolte, calme quand elle explose, élégant et discret, sa palette de jeu est plus resserrée, mais tout en subtilité. Les deux sont en harmonie dans cette scénographie de pure nature où les branches des arbres répondent à la forêt de projecteurs. Un tapis de pelouse qui sent bon l’humus et la fraîcheur du dehors, une suspension de fleurs séchées qui tombe en pluie d’été, deux chaises bancales et de la vaisselle ébréchée, on reconnaît là le style bucolique et aérien de Johnny Lebigot, augmenté par la vidéo de Thomas Bouvet, comme une vibration d’ondes qui recouvre tout dans les moments où le silence prend tout. Les images créées sont de toute beauté et participent de l’envolée poétique qui s’y joue, de la tendresse qui s’y noue.
Tout ce spectacle n’est que pur enchantement. On ne sait plus si on est dans le rêve ou la réalité, on ne comprend pas toujours où l’on est et qui parle, mais ce n’est pas grave, car on se sent toujours bercé, pris dans les filets de la présence incandescente de Flore Grimaud qui incarne ses mots comme s’il y allait de sa vie. On entend la souffrance de l’adolescente qui voit la séparation de ses parents comme un cataclysme ; on entend la rencontre étonnante, incongrue, avec Alain Delon ; on entend Romy Schneider, l’accent allemand qui se cogne à l’accent du Sud ; on entend la foi dans l’amour et la cruauté de la déception, l’étincelle qui est la source de nos fictions, l’envie d’y croire et que ça dure toujours. Ce n’est jamais mièvre, c’est sincère et singulier, porté par un souffle. On traverse la représentation dans un état de lévitation. Tout vibre d’émotion, tout a un charme fou. Et dans la flamme vacillante de cette bougie allumée ou dans ce dialogue d’allumettes qui rythment la parole, on croirait voir danser les fantômes évoqués.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Nous sommes septembre
Texte Flore Grimaud
Mise en scène Heidi-Éva Clavier
Avec Flore Grimaud, Manuel Durand
Collaboration artistique Antony Cochin
Scénographie Johnny Lebigot
Vidéo Thomas Bouvet
Lumières Léandre Garcia Lamolla
Costumes Patrick CavaliéProduction Rouge de Coeur
Coproduction CDN Thionville ; Scène conventionnée du Vivat d’Armentières ; Fabrique Mimont (Cannes)
Soutien CNL, Adami déclencheur, CDN, Grand Parquet (Théâtre Paris Villette), Pavillon Villette, Centquatre, Théâtre la Halle Roublot, Nouveau théâtre de l’Atalante, Compagnie mi fugue mi raison, Maison pure fictionLe texte a obtenu la Bourse Théâtre du Centre National du Livre et est édité aux éditions Les Cygnes.
Durée : 1h
Théâtre de la Reine Blanche, Paris
du 30 janvier au 1er mars 2025
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