Après Beyond Caring et LOVE, Alexander Zeldin clôt avec Faith, Hope and Charity une trilogie consacrée à la place de l’individu dans un système néolibéral. Avec la précision et la délicatesse qu’il défend depuis sa première pièce, il met en scène la vie d’une petite banque alimentaire menacée de fermeture.
Depuis sa première création, Beyond Caring (2014), Alexander Zeldin ancre son théâtre dans des réalités éloignées de celles des grandes institutions où ses pièces sont programmées. Artiste associé au National Theatre de Londres ainsi qu’au Théâtre de l’Odéon, le Britannique affirme un intérêt pour les exclus, pour les personnes en marge du système capitaliste. Sur le plateau, l’arrière-salle d’une usine à viande est représentée d’une manière très réaliste, de même que le lieu temporaire d’accueil de LOVE (2016), avec laquelle nous découvrions en France le travail personnel de cet artiste, auparavant assistant à la mise en scène de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne. Troisième partie d’une trilogie intitulée Inégalités, Faith, Hope and Charity ne dénote pas par rapport aux deux volets précédents : nous voilà dans le local d’une banque alimentaire, auprès des femmes et des hommes qui la fréquentent et de ceux qui la font fonctionner.
Avec sa peinture écaillée, défraîchie, ses tables et ses chaises dont on devine même de loin l’usure, son tableau où des dessins d’enfants semblent accrochés de toute éternité, le local de Faith, Hope and Charity n’a clairement jamais connu d’heure de gloire. S’il existe encore, tant bien que mal, et continue d’arborer quelques signes de bienvenue, d’hospitalité, c’est surtout par la volonté d’une femme, Hazel (Llewella Gideon), que les premières minutes de la pièce donnent à voir seule dans la toute petite cuisine où elle prépare les repas qu’elle offre ensuite à qui en a besoin. Notamment à une poignée d’habitués, dont Alexander Zeldin révèle les histoires par petites touches, à travers quatre moments d’une même année que la présence de masques et de gel hydroalcoolique situe tout près de nous. D’autant plus près que comme dans LOVE, scène et salle partagent la même lumière et pour certains le même espace, quelques spectateurs étant installés sur le plateau.
Loin de gêner, de culpabiliser le spectateur pour sa différence avec ses personnages, Alexander Zeldin crée avec ce dispositif très simple des ponts subtils entre sa fiction et le contexte dans lequel elle est représentée. La mixité de la distribution, qui rassemble acteurs professionnels et amateurs, dont certains ont été sans abris, va aussi dans ce sens. Difficile voire impossible, dans Faith, Hope and Charity, de distinguer les uns des autres. Les frontières séparant les personnes qui tiennent le local de celles qui y trouvent refuge le temps d’un repas sont elles aussi ténues : on apprend que le fils de Hazel est en prison pour faute grave. Tandis que Masel, qui remplace un certain Pete tombé malade au bout de 25 ans à la banque alimentaire, est en voie de réinsertion pour des raisons dont on ne saura rien. Tous les deux n’ont pas l’apanage de la solidarité dans la pièce : chacun à sa façon, le vieux Bernard, Beth et son fils, Tharwa et sa fille Tala ou encore le jeune Anthony manifestent les uns envers les autres différentes formes d’empathie et d’amour.
Les petits gestes, les mots minuscules qui témoignent de ces sentiments forment l’essentiel de Faith, Hope ans Charity. Ils en sont la chair, à vif mais toujours présentée d’une manière pudique et avec dignité malgré les crises individuelles et collectives qui rythment l’année condensée que nous donne à traverser le spectacle. L’inondation progressive du lieu et la menace de sa vente par les autorités locales qui veulent en faire un établissement de luxe sont des motifs qui rythment la pièce, et permettent de donner au temps une densité, un poids tragique. La succession des repas, des séances de chorale organisées par Masel – on en parle beaucoup, mais on n’en voit presque rien, jusqu’à la veille du concert organisé pour tenter d’empêcher la fermeture du lieu –, la récurrence de certaines conversations ne font pourtant pas que créer un effet d’enfermement : dans leur répétition, il y a quelque chose de presque apaisant, de rassurant.
Ce tempo, structuré en quatre actes qui sont comme quatre saisons toutes arrosées par une pluie quasi-continue, place le spectacle dans un rapport particulier au réel. Un rapport dont l’illusion de grande proximité repose sur une grande distance, sur un processus de création aux antipodes du fonctionnement de la société dont Alexander Zeldin montre les moins heureuses des marges. Avec toute son intelligence et son empathie.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Faith, Hope and Charity
Texte et mise en scène Alexander Zeldin
Artiste associé du Théâtre de l’OdéonAvec le Festival d’Automne à Paris
Avec : Lucy Black, Tia Dutt, Llewella Gideon, Tricia Hitchcock, Dayo Kolesho, Joseph Langdon, Shelley McDonald, Michael Moreland, Sean O’Callaghan, Bobby Stallwood, Posy Sterling, Hind Swareldahab
Scénographie, costumes : Natasha Jenkins
Lumière : Marc Williams
Son : Josh Anio Grigg
Travail du mouvement : Marcin RudyCoproduction National Theatre of Great Britain – Londres, A Zeldin Company
Avec le soutien de la Fondation Polonsky
Avec le soutien du Cercle Giorgio Strehler
Odéon – Théâtre de l’Europe (Ateliers Berthier)
Du 16 au 26 juin 2021
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