Dans Erreurs salvatrices, le compositeur Wilfried Wendling tente une approche de l’œuvre de Heiner Müller (1929-1995) en mêlant différentes disciplines. Musique, théâtre, cirque ou encore arts plastiques créent une atmosphère plutôt séduisante, mais qui nous laisse aux portes de l’univers Müller.
Pour « décloisonner le champ de l’art sonore, musiques nouvelles voire novatrices », le Centre national de création musicale La Muse en circuit se fait tout terrain. À sa tête depuis 2013, le compositeur Wilfried Wendling, donne le « la » en matière d’exploration de voies musicales singulières. Afin de créer des ponts entre sa discipline d’origine et d’autres modes d’expression et de rendre accessible à un maximum de personnes les territoires hybrides qui naissent de ses rapprochements, il imagine des dispositifs. Avec la harpiste contemporaine Hélène Breschand par exemple, il développe une performance psychédélique et projet au long cours, à la croisée des musiques hybrides, des arts numériques, du collage littéraire et de la performance cinématographique ». En 2019, Wilfried Wendling crée encore FAKE, que nous découvrions la saison dernière à la Maison des Arts de Créteil (MAC) – voir notre article ici. Ou plutôt dans ses alentours, car c’est en extérieur qu’il déployait adaptation de Peer Gynt d’Ibsen, où le réel se mêlait avec bonheur à la fiction.
Dans Erreurs salvatrices, Wilfried Wendling retrouve le confort de la salle pour explorer une œuvre toute autre : celle du dramaturge et poète Heiner Müller. Marquée par les deux guerres, la démarche littéraire de l’Allemand se prête particulièrement bien aux explorations très libres telles que les pratique le directeur de La Muse en circuit. Fragmentaires, fruits de la réécriture de textes anciens, les textes de Müller laissent à qui les aborde la possibilité d’y mettre de soi-même ou d’autre chose. Ils savent se faire poreux à d’autres matières, textuelles ou de natures toutes autres. Wilfried Wendling se saisit autant qu’il peut de cette ouverture. À des écrits de Müller qu’il qualifie de « postdramatiques » – « les inserts Paysage sous surveillance, Avis de décès, Paysage avec Argonautes, mais aussi des récits de rêves et des textes poétiques qui flirtent avec l’autobiographie », explique-t-il –, il mêle différents langages avec lesquels il travaille régulièrement : ceux du théâtre, du cirque, ou encore des arts plastiques.
Divisé en trois sets d’une heure, visibles deux par deux ou tous dans la même soirée, Erreurs salvatrices plonge ainsi d’emblée le spectateur au cœur de sollicitations multiples. Invité à déambuler à sa guise dans une salle sans gradin, au centre de laquelle trône une installation faite de fils tendus du sol au plafond – la « fileuse », agrès de cirque aérien inventé par Cécile Mont-Reynaud et Gilles Fer – on est d’abord saisi par la manière étrange, à la fois animale et très distinguée, dont Denis Lavant fait résonner les textes de Heiner Müller. Dans la bouche et dans le corps de cet acteur qui semble toujours avoir échappé au temps et aux esthétiques dominantes, les phrases faites de débris d’autres phrases, de restes d’écrits antérieurs, sont si bien à leur place que certains des nombreux éléments qui s’y ajoutent bientôt ont tendance à paraître superflus. Si la musique électronique composée et interprétée en direct par ordinateur par Wilfrid Wendling crée les conditions de l’immersion promise, la multiplication de langages qui s’y greffent ou se déploient en parallèle finit par empêcher un accès en profondeur à l’univers composite de Heiner Müller.
L’absence de la danseuse aérienne Cécile Mont-Reynaud le jour de notre venue, à cause de la Covid-19 a sans doute beaucoup transformé la partition circassienne de la pièce, alors confiée à Alvaro Valdès Soto. Entre le corps acrobatique et le corps parlant, la rencontre avait un goût trop artificiel pour entrer vraiment en résonnance la troublante morbidité de Heiner Müller. En mêlant le texte porté par Denis Lavant àndes vidéos projetées sur plusieurs écrans ainsi ainsi qu’à différentes machines-installations qui s’activent puis s’arrêtent au fil des sets, Wilfried Wendling crée une atmosphère plutôt onirique dont on peine à voir quels liens particuliers elle entretien avec Heiner Müller.
Sans doute prétend-elle être une transposition contemporaine de la pratique de réécriture de l’auteur allemand. Au cœur d’Erreurs salvatrices, son Paysage sous surveillance était par exemple nourri par des références au dessin d’une étudiante, à un tableau de Velasquez, un texte de Foucault. L’auteur l’a aussi présenté comme une « retouche d’Alceste qui cite le Nô Kumasaka, le onzième chant de l’Odyssée et Les Oiseaux d’Hitchcock ». Mais en ajoutant à toutes ces matières d’autres ingrédients, Wilfried Wendling a tendance à affaiblir le geste rassembleur d’origine, sans en actualiser la portée. À l’ère du zapping, le fragmentaire ne dit plus la même chose qu’à l’époque de traumatismes vécue par Heiner Müller : au lieu de s’opposer aux formes et aux pensées dominantes, il va dans leur sens, il les souligne.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Erreurs salvatrices
Textes Heiner Müller
Conception et musique électronique live Wilfried Wendling
Avec Denis Lavant (comédien), Cécile Mont-Reynaud est remplacée par Alvaro Valdes Soto (danseur aérien), Grégory Joubert (musicien et mécaniques plastiques), Thomas Mirgaine (interprète des machines sonores), Sophie Agnel (enregistrement piano)
Plasticienne Cécile Beau
Scénographie « fileuse » Gilles Fer
Conception et réalisation des machines Cyrille Henry
Conception lumière Annie Leuridan
Dramaturge Marion Platevoet
Regard chorégraphique Alvaro Valdes Soto
Lumières François Boulet
Costumière Mélanie Clénet
Vidéo et régisseur audiovisuel Vladimir Demoule
Régie générale Camille Lézer
Ingénieur du son Thomas Mirgaine
Régisseur lumière Louis de Pasquale
Production Marine Pontier-Guillôme
Vidéo et régisseur audiovisuel Julien Reis
Erreurs Salvatrices sera créé le 26 novembre 2021 au Théâtre de l’Archipel – Perpignan
Production La Muse en Circuit, Centre National de Création Musicale
Coproduction Maison des arts et de la culture de Créteil / POC d’Alfortville / Compagnie PROMETEO, Compagnie Lunatic
Avec le soutien à la résidence du Nouveau Théâtre de Montreuil et du POC d’Alfortville
Avec le soutien du Centre National de la Musique (CNM), l’aide à la création de la Région Île-de-France et la participation du CNC / DICRéAM
Durée : 1h par set
Théâtre de la Cité Internationale – Paris
Du 7 au 18 décembre 2021
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