Avec Encore plus, partout, tout le temps, le collectif L’Avantage du doute croise écologie et féminisme au long d’un spectacle ultra drôle et en plein dans son époque. Toges, couches, Parques et ours blanc s’y mélangent dans un délire en tous points maîtrisé où résonnent les batailles du siècle et du moment.
Voilà un spectacle qui fait du bien à la fois aux angoissé·e·s du climat et aux énervé·e·s des structures patriarcales. Voilà un spectacle qui fait rire, qui soulage, qui se moque, qui porte une parole engagée et véhicule autant d’auto-dérision. Voilà un spectacle d’écriture de plateau avec des tirades à tomber, des punchlines mémorables et des numéros d’actrices et d’acteurs remarquables. Le collectif L’Avantage du doute, qu’on avait connu plus sage et décousu, crée un spectacle surprenant et drôle, que structurent des sujets qu’on pourrait qualifier de bobos, mais qui sont pourtant bien des préoccupations générationnelles.
Conformément à sa philosophie de base – des acteur·rices et pas de metteur·se en scène, des interprètes qui écrivent des textes retravaillés au plateau –, le collectif présente une pièce composée de petites scènes très diverses. Mais quelque chose semble avoir mûri dans leur travail, au moins depuis La légende de Bornéo. L’arrivée de Maxence Tual, ancien des Chiens de Navarre, grand ours barbu aux airs éberlués et au pouvoir comique exceptionnel, n’y est pas pour rien. Le retour de Claire Dumas, qui entame le spectacle avec un numéro d’impro en Bernard, beauf en slip kangourou évadé du ministère de la Culture, accueillant les spectateurs et chauffant la salle avec brio, non plus. Avec eux, et largement à la hauteur, Nadir Legrand, « avec ses airs d’André Dussolier », comme dirait Bernard, qui compose notamment un angoissé du climat aussi touchant que drôle ; Mélanie Bestel, femme à tout faire, celle qui panique comme celle qui raconte avec un air de bourgeoise impassible le temps que ça lui prend de s’épiler le SIF – si vous ne le savez pas, on vous laisse chercher ce que c’est ; et Judith Davis, la nullipare militante mesurée, qui excelle en cachette à bien bander son arc.
Côté structure, le spectacle raconte en filigrane comment les hommes de la compagnie voulaient traiter du sujet du climat et les femmes de celui de leur place dans la société. Puisque le collectif fonctionne comme un espace démocratique et consensuel, Encore plus, partout, tout le temps conjugue les deux, qui sont finalement loin d’être déconnectés, comme l’a compris depuis longtemps l’écoféminisme. Pour autant, garçons et filles n’étaient pas raccord. Et le spectacle entrelace des tranches de vie transformées en tranches de rire avec des inventions encore plus décollées du réel : des Parques qui tranchent leurs fils en période de pandémie, un coq à l’âne aux allures poético-schizophréniques, un fils qui tue son père ou encore un ours blanc qui, pour finir, dans un grand silence, traverse la banquise.
Le décor est 100 % recyclé, annoncent-ils pour commencer, et les toges récupérées d’un autre spectacle. Cela ne semble pas facile de s’inscrire dans une démarche écolo quand on veut faire du théâtre. Sur le fond, le collectif y parvient pourtant parfaitement bien, assumant sa parole prosélyte d’autant mieux qu’il n’hésite pas à en rire, sans pour autant y renoncer. Parfait mélange entre humour efficace et plus risqué, entre blagues potaches, satires, clashs et ruptures soudaines de ton, paroles adressées et fictions au plateau, entre personnages fictionnels et réels, entre tirades dynamiques et dialogues bien balancés, Encore plus, partout, tout le temps s’est aussi enrichi de quelques recettes des Chiens de Navarre – on pense, par exemple, à la dimension visuelle, costumes et scéno kitsch-oniriques et drôles – et aussi d’un peu de références théâtrales à la Perez et Boussiron. Mais la théâtralité dense, riche et pleinement maîtrisée qu’y affiche L’Avantage du doute ne tient en rien de la contrefaçon. Elle approfondit au contraire le style du collectif et fait de ce spectacle un incontournable de la saison.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Encore plus, partout, tout le temps
Une création de L’Avantage du doute
Avec Judith Davis, Mélanie Bestel en alternance avec Servane Ducorps, Claire Dumas, Nadir Legrand, Maxence Tual
Scénographie Kristelle Paré
Lumières Mathilde Chamoux
Son Isabelle Fuchs
Costumes Marta Rossi
Accompagnement du travail vocal Jean-Baptiste Veyret-Logerias
Régie générale Jérôme Perez-Lopez
Régie plateau Elvire TapieProduction L’Avantage du doute
Coproduction Théâtre de Nîmes ; Théâtre de Rungis ; Théâtre Jean Vilar – Vitry-sur-Seine ; Théâtre de la Bastille – Paris ; Le lieu unique – Centre de culture contemporaine de Nantes ; Théâtre Nouvelle Génération – CDN de Lyon ; L’Estive – Scène nationale de Foix et de l’Ariège
Avec le soutien de la Région Ile-de-France, du Fonds SACD – Théâtre, de la vie brève – Théâtre de L’Aquarium, de La Villette (Paris)
Avec l’aide à la résidence du Conseil départemental du Val-de-Marne.L’Avantage du doute est conventionné par le ministère de la Culture – DRAC Ile-de-France. Il est associé à La Ferme du Buisson – Scène nationale, cinéma, centre d’art contemporain.
Durée : 1h45
Vu en mai 2022 au Théâtre de la Bastille, Paris
La Maison des Métallos, Paris
du 3 au 14 juin 2025
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