Tatiana Julien orchestre un cabaret décadent mélancolique et strident avec une troupe de danseur·euses-chanteur·euses éruptif·ves et puissant·es. En fanfaaare ! est une traversée horrifique et sombre qui célèbre nos ressources infinies et nos corps comme sources d’une vitalité toujours prompte à se renouveler.
C’est « en fanfaaare » que démarrait jeudi 2 octobre au soir le Festival Transforme – Paris avec une performance chant-danse aussi sensuelle qu’exubérante signée Tatiana Julien, danseuse hors pair, dont le virage vers la chorégraphie ne date pas d’hier. Initié par la Fondation d’entreprise Hermès, ce festival automnal qui se tient à Paris dans les murs du Théâtre de la Cité Internationale – dont Frédérique Aït-Touati vient de prendre la direction – s’attache à soutenir des gestes artistiques forts, expérimentaux, au mieux inédits et iconoclastes, dans le domaine scénique, que ce soit la danse donc, le cirque, mais aussi le théâtre et tous ses possibles pluridisciplinaires. Et si ce n’est pas la première fois que la chorégraphe s’essaie à l’inclusion d’une partie du public au plateau, si le dispositif est loin d’être nouveau en soi, la méthode, elle, diffère de ce que l’on a pu avoir l’habitude de vivre dans les nombreuses remises en question du sacro-saint frontal rapport scène/salle.
Tatiana Julien cherche le lien, elle le convoque, le provoque et l’attise au plus près des peaux. Un groupe de spectateurs et spectatrices volontaires est ainsi invité à partager l’espace scénique au même titre que les performeur·euses. Bien que dans la lumière, ils ne danseront pas, leur présence et leurs gestes restent cadrés, mais ils sont conviés là comme public témoin, voyeurs rapprochés, en porosité avec ce qui se joue autour. Le contact, ici, n’est plus seulement visuel et auditif, le toucher s’immisce dans la partie et les corps sont, dans des instantanés de fusion, mis en mouvement, portés ou enlacés. Cet échantillon de public devient excroissance de la majorité invisible et silencieuse assise dans le noir de la salle, un public infiltré qui vibre à l’unisson des artistes, dans le ventre même du spectacle. Le procédé fonctionne et fascine en ce qu’il part d’une démarche inclusive sincère et nouvelle dont la prise de risque n’est pas à démontrer, mais il a ses limites dans sa fragilité même et sa dimension hasardeuse. Limites qui font aussi sa beauté, puisque c’est dans cette ouverture à l’autre et à l’improvisation que se tient la possibilité de ses épiphanies.
Du reste, la performance est parcourue d’un désordre assez réjouissant. Elle ne cherche pas la perfection, ni dans les gestes ni dans les déplacements, elle palpite et s’ébroue autant que ses interprètes le peuvent (et ils peuvent beaucoup). En fanfaaare ! n’a absolument rien à voir avec cet ensemble de cuivres associé parfois à une parade militaire qui appartient à la culture populaire, et pourtant, il lui emprunte son rapport de proximité, sa capacité à rassembler et à animer l’espace public. Car c’est la mise en mouvement qui intéresse Tatiana Julien, notre puissance d’agir, à commencer par le réveil de nos corps contraints, endormis, paralysés par l’impasse sans cesse brandie en lieu et place d’avenir. Alors, elle revient à la source, aux prémices de l’acte et de l’élan, au corps qui tremble, exulte, éructe, se contorsionne, exorcise peurs et douleurs. Dans ce grand bal décadent, ce carnaval destroy et dégenré où les identités sont costumées, cette nuit des morts-vivants où les zombies sont aussi érotisés que stylés, dans cette danse macabre de pantins en bout de course, le sursaut n’est jamais loin et le désir à portée de main.
À jardin, un promontoire avance vers la salle et le micro qui s’y dresse accueille un·e à un·e le chant de ces sirènes dont la voix est un cri, une alarme, une plainte, un ultime déchirement du silence. Le travail vocal mené par Julien Ferranti, Myriam Jarmache et Dalila Khatir est remarquable, il fait toute la saveur sublime de ce spectacle instable et saisissant, qui tire parfois en longueur, mais se traverse dans une forme de fascination éblouie. La composition musicale (merveille ombrageuse signée Gaspard Guilbert) qui l’accompagne habille ce décor de ténèbres en clair-obscur, que les paillettes des costumes font reluire d’un éclat triste et mélancolique. Le corps entier devient résonateur puissant, instrument organique vibratoire. Les bras montent aussi hauts que les notes, les mains attisent les trémolos et, quand le silence impose sa trêve et dure, rarement on a vu public si attentif, en suspens, sans un bruit jusqu’à ce que reprenne la fête. Les projecteurs vacillent et tanguent, les visages se déforment et hurlent à la lune, les corps sont pris de secousses sismiques. Tatiana Julien invente une transe horrifique et envoûtante, un ballet de voix, un orchestre de gestes, et tout, chant et danse, rebondit, entre en connexion, comme si la scène était parcourue d’un grand fluide de vitalité désespérée. Et si la mort rôde, les rires, énormes, abrasifs, s’octroient la part du roi.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
En fanfaaare !
Conception et chorégraphie Tatiana Julien
Avec Esther Bachs Viñuela, Julien Ferranti, Florence Gengoul, Célia Gondol, Myriam Jarmache, Tatiana Julien, Sophie Lèbre, Zoé Lecorgne, Matthieu Patarozzi, Monika Szpunar
Création musicale et sonore Gaspard Guilbert
Création lumière et espace Bia Kaysel
Recherche et travail vocal Julien Ferranti, Myriam Jarmache, Dalila Khatir
Assistanat chorégraphique Clémence Galliard
Création costumes Florence Samain
Régie générale en tournée Bia Kaysel, en alternance avec Agathe PatonnierProduction Compagnie Interscribo
Coproduction Maison de la Culture d’Amiens – Pôle européen de création et de production, Le Phénix – Scène nationale de Valenciennes, La Briqueterie – CDCN du Val-de-Marne, Le Théâtre Jean Vilar – Vitry-sur-Seine, Le Lieu Unique – Scène nationale de Nantes, Le TNB – Théâtre National de Bretagne – Centre dramatique national – Rennes, Le Gymnase – CDCN Roubaix, Le Théâtre du Beauvaisis – Scène nationale, Le Ballet du Nord – CCN de Roubaix
Avec le soutien de la Fondation d’entreprise Hermès et de l’Adami
Aide à la résidence L’Oiseau Mouche à RoubaixDurée : 1h10
Vu en octobre 2025 au Théâtre de la Cité Internationale, dans le cadre du Festival Transforme – Paris
Le Lieu Unique, Nantes
les 16 et 17 octobreThéâtre du Beauvaisis, Scène nationale, Beauvais
le 18 novembreBuda, Courtrai (Belgique), dans le cadre du Festival NEXT
le 21 novembreLa Comédie de Clermont-Ferrand, Scène nationale, dans le cadre du Festival Transforme
les 13 et 14 janvier 2026Les SUBS, Lyon, dans le cadre du Festival Transforme
les 2 et 3 avrilThéâtre National de Bretagne, Rennes, dans le cadre du Festival Transforme
du 28 au 30 mai
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