Aux commandes d’une mise en scène sans audace, Jean-Claude Idée ne rend pas grâce à l’acuité du propos de l’aventurier du TNP. Autoportrait d’un homme de théâtre tiraillé, Le Memento souffre de la performance peu inspirée d’Emmanuel Dechartre.
Le Jean Vilar du Memento n’a pas grand-chose à voir avec la figure tutélaire que l’on connait aujourd’hui, avec cette statue du commandeur à qui il est de bon ton, désormais, de se référer. Au fil des confidences égrenées entre novembre 1952 et septembre 1955, et compilées dans un cahier personnel à mi-chemin entre le carnet intime et le journal de bord, se dessine un portrait en clair-obscur d’un génie théâtral en proie à un chemin de croix. Bourreau de travail, enchaînant les pièces – Dom Juan, L’Avare, Richard II, Macbeth, Lorenzaccio… – qu’il met en scène et dans lesquelles il joue, il est aux prises avec une direction du Théâtre national populaire (TNP), tout juste installé au Palais de Chaillot, plus compliquée qu’attendue.
Malgré le succès public de sa programmation et une moyenne de 500.000 spectateurs par saison, Vilar doit faire face à la défiance d’un pouvoir politique qui l’accuse de sympathie communiste, et au feu roulant des critiques venues d’une presse conservatrice qui se plait à dénigrer son travail et à faire courir des rumeurs régulières sur son remplacement. Responsable des déficits du TNP sur ses biens propres en vertu du contrat qu’il a signé avec l’Etat, il n’est payé ni pour son poste de directeur, ni pour ses mises en scène, ni pour ses rôles, et ne peut se rémunérer qu’avec les éventuels bénéfices réalisés par l’institution. Une situation qu’en treize exercices il ne connaîtra jamais.
Autoportrait personnel et professionnel d’un homme de théâtre tiraillé entre sa fougue créatrice et sa fatigue latente, l’utopie de la démocratisation culturelle et la dure réalité de la direction d’une institution, Le Memento ne se contente pas de naviguer dans l’histoire théâtrale où se croisent pêle-mêle Maria Casarès, Jeanne Moreau ou Gérard Philipe. Il offre des clefs de compréhension d’une situation de menace latente que « celles et ceux qui se destinent par les moyens de l’illusion à enseigner et divertir leurs semblables », comme les définissait joliment Vilar, connaissent aujourd’hui encore.
Malheureusement, l’adaptation de Jean-Claude Idée ne rend pas grâce à l’acuité de ce propos. Sous la forme de morceaux choisis extraits du recueil de Vilar, le metteur en scène opte pour une restitution purement chronologique qui, au-delà de la lassitude qu’elle provoque, trahit un manque de lecture et de mise en perspective patent. Cœur du réacteur d’une mise en scène spartiate qui n’évolue qu’à la marge, la rétroprojection d’une reproduction du manuscrit de Vilar se révèle purement illustrative. Alors que les matériaux historiques – photos d’époque, de spectacles, de lieux, de personnages illustres… – ne manquaient probablement pas, elle se borne à une redite de ce qui est déjà prononcé par Emmanuel Dechartre. Seul en scène, dirigé sans audace, le directeur du Théâtre 14, lesté par une diction ampoulée et un jeu maniéré, se plait à singer Vilar. De son ton monochrome et de ses intonations lancinantes, aucun élément ne se détache vraiment. Une simple lecture eût été, sans doute, tout aussi efficace.
Vincent BOUQUET – www.sceneweb.fr
Le Mémento
de Jean Vilar
Adaptation, scénographie et mise en scène, Jean-Claude Idée
Avec Emmanuel Dechartre
Musique, John Miller
Production Scène & Public – Utopie en Marche, en coréalisation avec le Théâtre 14
Remerciements à la BNF, à l’Association Jean Vilar d’Avignon pour le prêt des costumes originaux du TNP qui constituent le décor et aux UPT pour leurs collaborations techniquesDurée : 1h10
Théâtre 14
Du 22 mai au 30 juin 2018
mardi, mercredi, jeudi et vendredi à 19h00
et samedi à 20h30
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