Codirectrice de la Comédie de Colmar, Emilie Capliez met en scène vivement et astucieusement L’Enfant et les sortilèges de Maurice Ravel qu’elle place dans l’univers enchanteur du théâtre et signe ainsi le premier opéra nomade produit par l’Opéra National du Rhin.
Lorsque Ravel s’empare pour son deuxième et dernier opéra après L’Heure espagnole d’un texte écrit, à l’origine pour un projet de ballet, par la romancière Colette dans un style bref et authentiquement pur, il le colore d’une patte musicale bien à lui et fait de l’œuvre intimiste un opéra très richement orchestré. Le musicien Didier Puntos, véritable amoureux de la partition, en a quant à lui tiré une version chambriste, un arrangement tout à fait personnel créé en 1989 avec l’Atelier de l’Opéra de Lyon. Depuis il a participé à pas moins de six productions différentes de L’Enfant et les sortilèges. Adaptée pour piano à quatre mains, flûte et violoncelle, soit un tout petit ensemble, l’œuvre se laisse découvrir dans un format bien nécessaire pour un nouveau spectacle voué à tourner toute la saison dans le grand Est et le bassin Rhénan (de Colmar à Strasbourg, de Mulhouse à Bar-le-Duc dans la Meuse). On y entend néanmoins et avec jubilation les univers très variés, tantôt pastichés, tantôt parodiés, que convoque le compositeur. En passant avec malice d’un style à l’autre, celui-ci montre l’éclatante et éclectique porosité du classique avec le jazz ou l’univers du cabaret.
Au centre de l’intrigue minimale, un enfant hermétique aux leçons qui refuse de faire ses devoirs et se voit punit pour cela par sa mère, finit par laisser s’épancher sa colère en saccageant sans mesure tout ce qui est à sa portée : une tasse, une théière, un écureuil en cage, une vieille horloge, un papier peint représentant une pastorale, un livre de conte… autant d’objets disparates qui s’animent frénétiquement, et tourmentent à leur tour le bambin capricieux afin qu’il prenne conscience des conséquences néfastes de son mauvais comportement.
Cet enfant, campé avec alacrité et jovialité par Brenda Poupart, apparaît en simples vêtements d’aujourd’hui (jean et gros pull en laine rouge) muni d’un sac à dos d’écolier. Sa mère est quant à elle costumée et maquillée comme une diva des grands soirs. Car le court et plaisant spectacle ne se donne pas pour vocation d’illustrer l’insatiable fantaisie du livret – sans doute est-il d’ailleurs bien impossible de respecter à la lettre les indications scéniques – mais s’adonne plutôt à une libre transposition de l’œuvre transplantée dans le cadre magique et prosaïque d’une arrière-scène fortement agitée puisque au milieu des portants, des instruments, des boudoirs et miroirs, les artistes semi-costumés et les techniciens s’affairent à quelques minutes du lever de rideau. Si la mise en abyme est un procédé maintes fois vu et donc un peu convenu, il est ici exploité avec beaucoup d’humour, d inventivité et d’ingéniosité.
Les années folles semblent une source d’inspiration primordiale au spectacle. Fauteuil et Bergère forment un duo comique tout droit extrait du vaudeville ou de l’opérette. Un autre personnage apparaît sous les traits d’une danseuse de music-hall à plumes et à paillettes. Un duo de chats espiègles miaule sensuellement et à souhait.
Une fine équipe de huit jeunes solistes joue avec entrain à passer d’un rôle à l’autre et dans un registre aussi bien comique que pathétique. Il y a une infinie gaieté dans la musique de Ravel aux accents parfois histrioniques (à l’image de la folle leçon d’arithmétique) soudainement mâtinés d’onirisme et de chagrin comme l’élégiaque ritournelle des pastourelles et pastoureaux. Les textes et les voix ne sont pas toujours suffisamment audibles mais le plaisir du jeu l’emporte dans cette forme théâtrale assez foutraque et bien enlevée.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
L’enfant et les sortilèges
de Maurice Ravel – livret Colette
mise en scène Émilie Capliez
avec Brenda Poupard, Lauranne Oliva, Floriane Derthe, Liying Yang, Elsa Roux Chamoux, Damian Arnold, Damien Gastl, Oleg Volkotranscription et préparation musicale Didier Puntos – décors Alban Ho Van – costumes Marjolaine Mansot, Alban Ho Van – lumière Bruno Marsol
Durée : 50 minutes
Comédie de Colmar
du 15 au 21 décembre 2021Théâtre de Hautepierre à Strasbourg
du 12 au 23 janvier 2022
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