Au théâtre de l’Athénée, à Paris, la metteuse en scène, chanteuse et comédienne s’empare de la pièce d’Anouilh dans un écrin corseté empli du parfum pernicieux de la France d’antan.
Sous les ors du Théâtre de l’Athénée, à Paris, une terreur règne. La révolution féminine achevée depuis peu a renversé un monde jusqu’alors contrôlé par les hommes. Exit le patriarcat. Les femmes désormais au pouvoir ont instauré un matriarcat des plus radical. Pensée comme une satire des mouvements féministes de l’époque, la pièce écrite par Jean Anouilh en 1978 est ici réactivée par le geste vaudevillesque de la metteuse en scène, comédienne et chanteuse Emeline Bayart (On purge bébé). L’artiste a choisi d’augmenter la farce de scènes de chants performés par les comédiens, étirant – parfois trop – le ressort satirique de l’œuvre sans pour autant en éprouver le propos. Sur scène, l’écrin corseté formé par les décors tout en bois diffuse le parfum pernicieux de la France d’antan.
La culotte s’ouvre sur un vestibule. Au milieu, un homme se tient debout, les mains liées à un poteau de torture. « Pourquoi papa il est toujours attaché ? », demande sa fille Marie-Christine, dix ans. « Parce qu’il a fait un enfant à la bonne », lui répond-t-on sèchement. Pour cet adultère et cette entrave à la morale, le chef de famille déchu est puni. Léon de Saint Pé est soumis aux ordres de sa femme (incarnée par Emeline Bayart, brillante dans son rôle) qui le compare à tous les qualificatifs ayant trait de près ou de loin au cochon. Pourceau, porc, goret… l’homme n’est libéré que quelques minutes par jour pour se nourrir et écrire sa chronique au Figaro, le gagne-pain de la maison.
Portraituré en personnage tout à la fois détestable et pitoyable, l’ex-patriarche ne rate pas une occasion de contraindre sexuellement – quand il ne l’agresse tout simplement pas – la bonne à son service. Autant d’outrages à la loi qui alourdissent les charges pesant contre lui. D’autant que la famille Saint Pé, comme le reste du pays, applique les nouveaux dogmes instaurés depuis la révolution féminine. Gare aux résistants, donc, tout homme soupçonné de phallocratie est condamné à être émasculé sur le champ. La situation a de quoi faire rire, tant la perspective d’un tel monde paraît bien lointaine, mais elle dénote d’un certain esprit visionnaire chez Anouilh, l’actualité de notre temps regorgeant de ce genre d’accusations portées à l’encontre des organisations féministes. En mettant en scène la guerre des sexes, le dramaturge inversa la situation pour mieux en pointer les dérives systémiques. Et c’est justement de ça dont il est question ici.
En personnage de mère tyrannique et castratrice, Emeline Bayart s’empare à plein poumon du propos grinçant de la pièce et lui confère une légèreté jouissive lorsqu’il s’agit de rire sans retenue aux répliques pleines d’éclat. L’intrigue prend un tournant risible dans la phase du procès de Léon de Saint Pé, au cours duquel la Présidente (campée par Laurent Ménoret) – également membre du comité des femmes libres du 16earrondissement de Paris – ne rate une occasion d’exprimer la partialité de son jugement. Malgré sa bonne volonté, l’avocat de la défense, incarné par Christophe Canard, paraît impuissant devant l’autoritarisme du tribunal. La juge assène à coup de bâton les nouvelles lois régnant entre ces murs, aidée par son assesseure (Marc-Henri Lamande, également dans le rôle du pianiste) qui la suit au doigt et à l’œil. Dans ce temple de la justice où tout doit filer droit, le droit justement module sa substance au gré des idéaux politiques.
Société légitime ou dictature féminine ? La pièce d’Anouilh penche sans équivoque pour cette seconde option. Mais La culotte ne verse pas dans la satire antiféministe et misogyne. Les femmes y occupent les rôles les plus importants de la pièce et nous font voir les dérives de ce pouvoir conquis illégitimement. Sur scène, la guerre des sexes étouffe la lutte des classes. Il n’est nullement question d’égalité ici. Ni entre les sexes, ni entre les personnes. Chaque individu développe des stratégies de survie suivant sa condition pour résister à ce nouveau monde annihilant les êtres. Loin d’apporter un idéal, La culotte ne fait que refléter, tel un miroir grossissant, les travers et les étapes inévitables d’une société en mal d’égalité qui se cherche, et qui peine à se trouver.
Kilian Orain – www.sceneweb.fr
La Culotte
Texte Jean Anouilh • Mise en scène Émeline BayartAvec Émeline Bayart, Christophe Canard, Marc Chouppart, Matthieu Marie, Corinne Martin, Laurent Ménoret, Herrade von Meier
Scénographie et costumes Anne-Sophie Grac • Assistant mise en scène Luciana Velocci • Arrangements musicaux Manuel Peskine • Lumières Joël Fabing, Melaine Danion
Production : Centre International de Créations Théâtrales / Théâtre des Bouffes du Nord.
Coproduction : Théâtre Montansier / Versailles ; Espace Jean Legendre – Théâtres de Compiègne ; Théâtre Saint-Louis – Pau ; Athénée Théâtre Louis-Jouvet ; Cercle des partenaires.Durée 2h15
Théatre de l’Athénée
Du 20 septembre au 7 octobre 2023
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