Sous la direction musicale d’Emmanuelle Haïm à la tête de son Concert d’Astrée et dans la mise en scène de Barrie Kosky, Sémélé de Händel redouble d’accents morbides et sensuels à l’Opéra de Lille.
Déjà réunis à l’occasion de deux beaux Rameau, un Castor et Pollux en 2014 puis Les Boréades en 2019, la cheffe baroque et le directeur sortant de la Komische Oper de Berlin forment un duo qui fonctionne tant ils partagent un goût véritable pour un théâtre musical plein de vitalité et d’inventivité, toujours au service de l’expression dramatique. Ils le prouvent à nouveau en s’emparant de Sémélé de Händel, une œuvre certes popularisée par la mezzo star Cecilia Bartoli mais qui demeure encore une rareté sur les plateaux lyriques. Difficile à porter à la scène, elle emprunte autant à l’opéra italien (quelque peu boudé à l’époque de sa composition à Londres) qu’à l’oratorio anglais. Malgré quelques inévitables longueurs dans la partition, Haïm et Kosky parviennent sans mal à exploiter l’intensité des sentiments des personnages dans un spectacle très enlevé.
Barrie Kosky, qui est vraiment un homme de spectacle, sait donner libre cours à un imaginaire débridé, ici largement inspiré de l’univers du conte. Il fait aisément se déchaîner les passions les plus extraverties d’une troupe de chanteurs formidablement investis dans un jeu physique, organique, et même érotique, le tout dans une jubilation qui prend le risque de parfois trop forcer le trait. De son côté, la cheffe d’orchestre aime toujours souligner la variété et les contrastes de dynamiques et de couleurs et ainsi restituer la nerveuse électricité d’une partition palpitante mais aussi faire se déployer ses magnifiques et languissantes élégies.
Contée par Ovide, dans Les Métamorphoses, l’histoire de Sémélé est aussi tragique que comique. La production proposée n’écarte aucune des deux tonalités. Dans un unique et sublime décor (signé Natacha Le Guen de Kerneizon) de palais incendié, dont les lambris, les parquets, les miroirs et le mobiliers se sont figés sous une noirceur moribonde, Sémélé renaît de ses cendres et revit sa vie de manière totalement hallucinée. L’humeur est à la fête des sens et de l’esprit tant se distille une évidente sensualité lorsque l’héroïne danse lascivement sur le rebord de la cheminée, lieu où elle finira tristement consumée et statufiée tenant sa propre urne funéraire dans les mains. Le désir est comme souvent un moteur à l’intrigue ; il trouve son point d’acmé lorsque Somuns, le dieu du sommeil, Evan Hughes, apparaît en drôle d’oiseau de nuit assez sexy.
Comme séquestrée dans son sombre château, Sémélé voit défiler son mariage forcé avec Athamas, campé par Paul-Antoine Bénos-Djian aussi subtil que burlesque en benêt maladroit et finalement touchant, son enlèvement spectaculaire par Jupiter son amant au milieu de la noce tandis que toute l’assemblée tente en vain de la retenir par son fin voile de mariée, ses amours aussi joyeuses que tumultueuses avec le roi des dieux. Le couple formé par Elsa Benoit et Stuart Jackson semble bien s’amuser à revisiter celui de la Belle et la Bête, elle se jetant à voix et corps perdus dans le rôle-titre où elle est formidablement piquante sous l’emprise d’un Jupiter colossal mais non dépourvu de tendresse. La jalouse Junon profite de l’abatage scénique d’Ezgi Kutlu. A chacune de ses interventions, le chœur est parfait.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Sémélé
Drame musical en trois actes de Georg F. Händel (1685-1759)
D’après le livret de William Congreve
Créé en 1744Emmanuelle Haïm direction musicale
Barrie Kosky mise en scène
Reprise assurée par David MerzNatacha Le Guen de Kerneizon décor
Carla Teti costumes
Johanna Wall dramaturgie
Alessandro Carletti lumières
Richard Wilberforce assistant à la direction musicale et chef de chœur
Benoît Hartoin chef de chantAvec
Elsa Benoit Sémélé
Stuart Jackson Jupiter, Apollo
Paul-Antoine Bénos-Djian Athamas
Joshua Bloom Cadmus, Prêtre
Ezgi Kutlu Juno
Evan Hughes Somnus
Victoire Bunel Ino
Emy Gazeilles IrisLe Concert d’Astrée
chœur et orchestre ensemble en résidence à l’Opéra de LilleProduction Komische Oper Berlin
Reprise Opéra de LilleAvec le soutien du Crédit Agricole Nord de France, mécène principal de l’Opéra de Lille.
Durée : 3h15
Opéra de Lille
du 6 au 16 octobre 2022
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