Jean-Pierre Baro adapte au théâtre, Disgrâce, le roman de J. M. Coetzee à la noirceur et la violence troubles et désespérées. Sur le plateau de la Colline devenu âpre campagne sud-africaine post-apartheid, s’invite brutalement les questions conflictuelles de domination des valeurs et des races.
Plusieurs fois porté à la scène, le roman de Coetzee fut dernièrement représenté par deux fois en France. En 2012, le flamand Luk Perceval donnait sa lecture à la Maison des arts de Créteil avec le Toneelgroep Amsterdam, plus récemment, au festival d’Avignon, le hongrois Kornel Mundruczo proposait une mise en scène tout à fait différente. Radicalement épurée et métaphorique, la première version refusait le traitement hard et hyperréaliste auquel s’adonnait la seconde, plus provocatrice. De manière édifiante, l’insoutenable scène du viol de Lucy, centrale dans le roman, n’était pas figurée chez l’un mais jouée complaisamment deux fois chez l’autre. La mise en scène que propose Jean-Pierre Baro, nécessairement crue mais pas sensationnaliste pour autant, laisse quant à elle progresser le récit avec une tenue intellectuelle considérable, sans le décontextualiser et en adoptant le regard de son personnage principal, David Lurie, séducteur sur le retour, deux fois marié et divorcé, profondément seul, menant une vie sentimentale et sexuelle réduite à la pratique de relations tarifées et l’intimidation d’une de ses étudiantes qui le dénoncera pour harcèlement.
Parce que cet homme, cynique et vieillissant, est blanc, parce qu’il jouit d’une existence aisée et d’une réputation assise d’universitaire respectable, il ne doute pas un instant de son tout-pouvoir, de la supériorité de sa culture et de sa race. Reconnu coupable et accablé par cette histoire de mœurs, il se contraint à l’exil sur les terres africaines où vit sa fille reculée en plein Bush. Il éprouve le choc de voir sa vie et ses valeurs autrefois hégémoniques basculer à son désavantage. Lucy travaille sans confort et résolument pleine d’abnégation, dans un chenil. Une nuit, trois agresseurs noirs entrent chez elle par effraction. Ils incendient la baraque et violent la jeune femme. Son père, déserteur, ne comprend pas pourquoi ni comment elle compte rester là sans rien dire et reprendre sa vie comme avant.
Jean-Pierre Baro, lui-même fils d’immigré sénégalais, tient à faire entendre les thèmes de la responsabilité et de la culpabilité face à l’héritage de l’histoire coloniale. Il s’emploie à relativiser la notion d’étranger, en jouant par exemple sur les couleurs de peau des acteurs qui se peignent le visage d’un cirage noirâtre ou d’un rouge ou bleu vif pour mettre au cœur de son travail la notion universelle d’altérité. Ecrit en 1999, le roman n’a rien perdu de sa portée âpre et dérangeante. Ses tensions et ambiguïtés sont restituées avec justesse et nuances, de façon intelligible et sensible, par Cécile Croustillac, Pierre Baux et le reste de la distribution. Quelques surlignages seraient bien dispensables mais le propos non univoque reste fortement interrogateur.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Disgrâce
J. M. Coetzee / Jean-Pierre Baro
avec Jacques Allaire, Fargass Assandé, Pierre Baux, Simon Bellouard, Cécile Coustillac, Sophie Richelieu, Mireille Roussel
Extime compagnie
traduction Catherine Lauga du Plessis (Éditions du Seuil)
adaptation Pascal Kirsch, et Jean-Pierre Baro
scénographie Mathieu Lorry Dupuy
son Loïc Le Roux
lumière Brunos Brinas
costumes Majan Pochard
assistanat mise en scène Amine Adjina
production 16-17 Extime compagnie ; coproduction CDN Orléans/ Loiret / Centre, Théâtre national de la Colline Paris, CDN Besançon Franche–Comté, Les Scènes du Jura – Scène nationale, Théâtre de Sartrouville et des Yvelines–CDN ; Accueil en résidence Pôle culturel d’Alfortville ; Extime Compagnie est associée au CDN de Sartrouville depuis 2013 et à Scènes du Jura – Scène nationale pour la saison 16-17 ; Extime Compagnie est conventionnée par le ministère de la Culture et de la Communication–DRAC Île-de-France © S. Bellouard, E. Arfeuil
Durée: 2h20du 05 au 08 oct_CDN Orléans Loiret Centre
du 11 au 13 oct_CDN de Besançon– Franche-Comté
18 oct_L’Estive, Scène nationale de Foix et de l’Ariège
du 03 nov au 03 déc_La Colline Théâtre national–Paris
du 07 au 09 déc_Théâtre de Sartrouville et des Yvelines-CDN
17 janvier_Lons-Le-Saunier, Scènes nationales du Jura
du 23 au 27 janv_CDN de Haute-Normandie–Rouen
02 février_Le Préau-CDR de Vire
08 février_Moulin du Roc, Scène nationale–Niort
10 février_Le Gallia Théâtre–Saintes
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