Conçu et brillamment interprété par Raphaëlle Rousseau, Discussion avec DS imagine une conversation entre la jeune comédienne et Delphine Seyrig.
Hasard des calendriers de création, ce sont trois spectacles en 2022/2023 qui ont abordé ou évoqué la comédienne Delphine Seyrig (qui aurait soufflé en 2022 ces quatre-vingt-dix bougies) : Delphine et Carole, à travers l’amitié militante et le travail commun mené avec la réalisatrice et féministe Carole Roussopoulos ; Rembobiner, qui en se consacrant à Carole Roussopoulos cite évidemment l’actrice ; et Discussion avec DS. Joué en cet automne dans la même salle de l’Athénée que Rembobiner, Discussion avec DS se donne comme un dialogue imaginaire sincère, drôle et émouvant entre deux comédiennes de générations différentes. Sur la scène où un flight-case fait office d’autel, des bougies et des portraits photographiques de celle qui a joué dans trente-quatre films pour le cinéma, treize pour la télévision et une trentaine de pièces de théâtre sont disposés au sol. L’on saisit d’emblée la place à part qu’occupe l’actrice à la voix si particulière pour la jeune comédienne issue de la promotion 2021 du Théâtre national de Bretagne. C’est, d’ailleurs, durant sa formation que Raphaëlle Rousseau a débuté ce travail au sujet de celle dont elle dit : « elle est la seule – parmi d’autres actrices que j’admire – dont je me sens étonnamment proche, comme une sorte de marraine, de gentil fantôme ou que sais-je. J’aurais follement aimé la connaître. » Discussion avec DS est donc à prendre au pied de la lettre comme de ses initiales et dans un exercice sur le fil subtilement maîtrisé, joliment composé, la vivante initie un dialogue en toute simplicité avec la morte, sans pour autant démonter le piédestal sur lequel cette « déesse » est juchée.
Ce piédestal, Raphaëlle Rousseau l’assume outre la scénographie par la mise en scène et l’écriture : après une sorte de rituel funéraire, la jeune comédienne évoque l’effacement symbolique dont est victime l’actrice à Pantin (la plaque de la rue portant le nom de Seyrig étant illisible). Le théâtre étant l’un des lieux possibles du dialogue avec les morts, un espace où les frontières entre êtres animés et inanimés s’abolissent, la discussion se déploie en deux temps. Après une première séquence où le dialogue entre les femmes se tient à la faveur d’un montage sonore de la voix de Seyrig – Raphaëlle Rousseau étant sur scène et Delphine Seyrig constituant une figure invisible mais omniprésente par sa parole –, une seconde séquence donne lieu à une inversion autant qu’à un dédoublement des rôles.
Là, à l’invitation de la jeune actrice, c’est une Seyrig très apprêtée qui entre en scène … évidemment interprétée par la première. Répondant aux questions posées en voix-off par Raphaëlle Rousseau, elle s’adresse autant à son interlocutrice qu’au public auquel elle fait face. Il se dessine dans cette mise en abîme la relation que chaque interprète construit et noue avec son personnage, entre familiarité et identification ; imitation, composition et réinvention. Après un début de spectacle au propos plutôt anecdotique, cette séquence saisit rapidement. L’on découvre une Delphine Seyrig étonnante par sa véracité et puissante par les préoccupations intimes qu’elle aborde (tirés d’entretiens). En vrac est abordé son rapport à la maternité ; son plaidoyer pour l’avortement « je dis qu’il est plus traumatisant pour des femmes d’élever des enfants que d’avorter » ; sa vision de ce qu’est être actrice « une actrice est constituée de ses choix comme de ses renoncements » ; sa découverte de la solitude ; etc.
Ce mouvement de partage et de transmission d’une génération de comédienne à l’autre se clôt, évidemment, sur le jeu. Soit par la reprise de Seyrig de l’une des scènes finales du film Baisers volés de François Truffaut (1968). Dans celle-ci, son personnage affirme « Je ne suis pas une apparition, je suis une femme (…) », réfutant sa position de femme adulée (de « déesse », donc) face au jeune Antoine Doinel énamouré. On peut voir dans cet appel à ne pas être considéré comme un être éthéré, un pur objet de fantasme, une adresse de Seyrig à Raphaëlle Rousseau, comme une revendication de la jeune comédienne pour son parcours personnel. Pour autant, il se prolonge ici le paradoxe de Dialogue avec DS : soit la représentation d’une Delphine Seyrig sublime et mystérieuse, telle que la machine cinématographique l’a façonnée avant que l’actrice ne décide de s’en éloigner. Si tout portrait est forcément partial et partiel, celui-ci évacue les contextes politiques comme les solidarités féministes ayant amené la comédienne à énoncer publiquement toutes ses positions aussi tranchées qu’engagées. Ce faisant, il prolonge la vision d’une femme isolée, irréelle, image de papier glacé. Une apparition aussi sacrément bien interprétée que prise dans les contradictions de sa représentation.
Caroline Châtelet – www.sceneweb.fr
Discussion avec DS
Conception, écriture et mise en scène Raphaëlle RousseauCréation lumières Benjamin Bouin • Collaboration artistique Amélie Gratias
Production déléguée : Prémisses
Soutien : Théâtre national de Bretagne
Coréalisation : Athénée Théâtre Louis-JouvetLe Cercle des Partenaires soutient avec ses mécènes la programmation de la salle Christian-Bérard.
Durée 1h30
Théatre de la Bastille
du 20 septembre au 7 octobre 2023
19h,
17h les samedis 23 et 30 septembre
20h le samedi 7 octobre
relâche les dimanches
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