Le Ballet de l’Opéra de Paris ouvre sa saison sur un programme à la jovialité communicative. Il rassemble l’un des derniers highlights de la compagnie, Blake Works I de William Forsythe, et l’insolite Impasse de Johan Inger, avec pour trait d’union la célébration du mouvement et la joie de danser.
Sa création mondiale en 2016 avait électrisé le public de l’Opéra Garnier. Blake Works I s’offre comme une réjouissante revisite du vocabulaire classique conjugué, sans aucun académisme, mais de manière habile et maligne, aux influences électro pop et soul du chanteur britannique James Blake, dont sept titres à la fois pêchus et mélancoliques, tirés de l’album The Colour in Anything, rythment la danse. Cette alliance forme un éblouissant décalage stylistique, où le geste est aussi maximalisé que volontiers déstructuré. Pensée pour une vingtaine de danseurs, la pièce privilégie autant les moments intimistes, des solos et des duos vertigineux, que les mouvements d’ensemble. Les danseurs – certains déjà présents à la création (Germain Louvet, Paul Marque, Jérémy-Loup Quer, Axel Ibot) et d’autres nouveaux venus (Hohyun Kang, formidable, Florent Melac, qui relève bien le défi de reprendre le rôle tenu avec un charisme fou par François Alu) –, s’assument comme les rois et les reines du déhanché en justaucorps et jupettes azurés. Ils paraissent toujours aussi gourmands et heureux de se jeter dans le grand bain facétieux proposé par Forsythe. Même si cette nouvelle reprise n’a pas paru aussi survoltée que les précédentes, le plaisir et la virtuosité n’ont pas non plus manqué.
La pièce s’est toujours trouvée couplée avec d’autres opus aux styles très divers et variés. L’œuvre phare de Crystal Pite, The Seasons’ Canon, écrite là aussi pour un grand ensemble jeté à corps perdu dans un mouvement de houle organique et hyper émotif, se présentait comme un choix pertinent. À l’inverse, la courte et étonnamment kitsch proposition de Hiroshi Sugimoto, At the Hawk’s Well, influencée par le théâtre nô et le folklore asiatique, avait laissé plus circonspect. Pour ce nouveau programme, mais durant quelques soirées seulement, Blake Works I est précédé du fastueux défilé du corps de ballet – où, le soir de la première, plusieurs étoiles manquaient à l’appel –, puis de Word for Word de l’Américain My’Kal Stromile qui explore avec chic et concision la tradition classique de façon contemporaine, en digne héritier de Forsythe. Une autre pièce de ce dernier ouvre la soirée. Plus courte, radicale et dépouillée, Rearray est construite sur une succession de fragments nets où les êtres se cherchent et se trouvent bien furtivement. D’abord inventée pour un duo formé par Sylvie Guillem et Nicolas Le Riche, elle est désormais remodelée pour un trouple de danseurs composé de Roxane Stojanov, Takeru Coste et Loup Marcault-Derouard, silhouettes sinueuses et élancées, jeux de bras et de jambes aussi volubiles qu’infinis, tout en déséquilibre et gestes syncopés.
Après l’entracte, la suite du programme donne à découvrir Impasse, une pièce de danse-théâtre créée par le chorégraphe suédois Johan Inger en 2020 avec le Nederlands Dans Theater 2. À la fois étrange et intense, l’œuvre distille une part de mystère et de fougue. En effet, elle transporte les danseurs de l’Opéra dans un registre de transe clownesque on ne peut plus extravertie. Son décor très simple – une maisonnette en bois qui change de dimension – et certains de ses éléments de costumes évoquent l’univers du conte de fées. La pièce prend justement pour sujet le besoin d’enchantement pour irriguer nos esprits et nos vies. Au centre, une porte, par laquelle sera rendue possible une multitude d’échappées : celles d’une femme, puis d’un homme, puis d’un autre, puis de groupes d’individus apparemment étrangers, mais toujours bienvenus pour faire advenir la nouveauté espérée. La musique aux accents jazz, fiévreuse et hybride, d’Ibrahim Maalouf renforce la dimension de foire, de carnaval, déjà contenue dans l’écriture chorégraphique. Une énergie et une vitalité un peu folles se dégagent de tableaux histrioniques dessinés à gros traits, mais défendus avec une admirable conviction par les interprètes qui assument l’outrance et l’excentricité réclamées. À ce jeu, Andrea Sarri est excellent.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Word for Word
Uniquement lors des représentations du 4, 9 et 10 octobre à 19h30
Chorégraphie My’Kal Stromile
Musique Jerome Begin (Voices, 5ive)
Avec Valentine Colasante, Hannah O’Neill, Guillaume Diop, Jack Gasztowtt, Rubens Simon
Costumes Chanel
Lumières Brandon Stirling Baker
Assistant chorégraphie Noah GelberRearray
Chorégraphie et scénographie William Forsythe
Musique David Morrow
Avec Roxane Stojanov, Takeru Coste, Loup Marcault-Derouard
Assistants du chorégraphe Ayman Harper, Stéphanie Arndt
Costumes Dorothee Merg
Lumières Tanja RühlBlake Works I
Chorégraphie, scénographie, costumes et lumières William Forsythe
Musique James Blake
Avec, en alternance, Léonore Baulac, Germain Louvet, Hugo Marchand, Paul Marque, Inès McIntosh, Silvia Saint-Martin, Pablo Legasa, Florent Melac, Jérémy-Loup Quer, Alice Catonnet, Naïs Duboscq, Hohyun Kang, Emilie Hasboun, Laure-Adélaïde Boucaud, Jennifer Visocchi, Adèle Belem, Lisa Gaillard-Bortolotti, Claire Teisseyre, Sarah Barthez, Anastasia Gallon, Margaux Gaudy-Talazac, Seojun Yoon, Milo Avêque, Nathan Bisson, Axel Ibot, Cyril Mitilian, Enzo Saugar, Hugo Vigliotti, Shale Wagman
Costumes Dorothee Merg
Lumières Tanja RühlImpasse
Chorégraphie et scénographie Johan Inger
Musique Ibrahim Maalouf, Amos Ben-Tal
Avec, en alternance, Marc Moreau, Antoine Kirscher, Francesco Mura, Letizia Galloni, Clémence Gross, Caroline Osmont, Nine Seropian, Lydie Vareilhes, Ida Viikinkoski, Victoire Anquetil, Laurène Levy, Apolline Anquetil, Lucie Devignes, Lillian Di Piazza, Marion Gautier de Charnacé, Charlotte Ranson, Sofia Rosolini, Alexandre Boccara, Fabien Revillion, Andrea Sarri, Daniel Stokes, Nikolaus Tudorin, Mathieu Contat, Yvon Demol, Théo Ghilbert, Marius Rubio, Maxime Thomas, Max Darlington, Manuel Garrido, Julien Guillemard, Baptiste Beniere
Costumes Bregje van Balen
Lumières Tom Visser
Vidéo Annie TådneDurée : 1h40 (entracte compris)
Opéra national de Paris, Palais Garnier
du 4 octobre au 3 novembre 2024
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