Le jeune public lui va comme un gant. Avec Depuis que je suis né, David Lescot réitère son observation drôle et délicate de l’enfance à travers un monologue tissé de musique interprété avec un joli sens de l’autodérision par Mirabelle Kalfon. En tout point réjouissant.
Cheveux en bataille, chaussettes à pois multicolores, jean basique, polo orange et vert, le nouveau héros de la dernière création jeunesse de David Lescot a 6 ans. Il sait lire et donc, écrire, et entreprend, à l’exemple de sa grand-mère, de rédiger ses mémoires. Car voyez-vous, ce petit bonhomme a une sacrée mémoire justement (c’est le roi du Mémory !). Des souvenirs, il en a par paquets et du haut de son jeune âge, il en a des choses à raconter, du vécu à partager, des expériences et des aventures à consigner. Mais voilà, sur quel support rédiger ? Première question cruciale. Son ardoise magique ? Le mur de sa chambre ? Son premier ordinateur portable, bien sûr ! Quelle bonne idée ! La machine colorée enregistre tout et c’est bien plus simple comme ça de faire défiler le flux des épisodes de son existence. Tel est le point de départ de la pièce de David Lescot, qui prend le relai du diptyque J’ai trop peur suivi de J’ai trop d’amis sans en être pour autant la suite
Avec Depuis que je suis né, on passe à autre chose, on change de registre. Le public visé rajeunit et le sujet, resserré à un seul personnage, s’inscrit dans le huis clos d’une chambre d’enfant. Exit l’école, les vacances en famille, l’entrée au collège, les problématiques liées aux relations amicales et sociales, David Lescot entreprend de se mettre à hauteur d’enfant pour une introspection réjouissante. Une exploration mémorable des premiers pas dans l’existence qui se transforme en véritable épopée allant du récit de la naissance à l’année de CP. De la tyrannie du nouveau-né réclamant son lait aux brouilles de la crèche, des obsessions éphémères pour les motos, les duels à l’épée ou les fourmis au rejet de tout ce qui fait bébé, chaque scène est un régal de justesse et d’humour. En dramatisant les pleurs puérils, en grossissant le trait des réactions émotives, la direction d’actrice se révèle optimale, elle vient toucher ce qui est propre à l’enfance, cette intensité de chaque instant, ces montagnes russes émotionnelles, ces découvertes permanentes faisant de la vie une succession de surprises et de premières fois. Le texte de David Lescot donne la parole à l’enfant, adopte son point de vue, son regard sur les adultes et le monde qui l’entoure, et la pertinence des observations se lit dans la réception du public, happé, rieur et conquis. Le spectacle devient un miroir à chaud pour les enfants, un terrain connu pour les parents, un bain de jouvence pour les adultes
Au plateau, la scénographie ingénieuse et ludique d’Alwyne de Dardel fait son effet et s’impose quasiment comme un personnage à part entière en devenant un partenaire de jeu indispensable pour la comédienne qui s’appuie sur les différents éléments de décor pour faire vivre son histoire. Agile, espiègle, toute en ruptures de tons, passant d’un état à l’autre à l’image des enfants, la comédienne Mirabelle Kalfon (en alternance avec Louise Guillaume) fait le sel de la représentation. Volubile et joueuse, elle évolue dans cet écrin de bois et de tissu, papillonnant d’accessoires en accessoires pour faire naître des images ou illustrer concrètement des scènes. Comme une forme lointaine de théâtre de tréteaux et d’objets. La chambre est un radeau, une cabane, un royaume où fleurissent les jouets, les poupées et l’imaginaire. Sur cette structure de cagettes chapeautée par une tente rapiécée en forme de demi-sphère, c’est la petite musique de l’enfance qui se joue. Eternelle et émouvante.
Plus que jamais, David Lescot, pourtant rompu à intégrer des parenthèses musicales dans ces spectacles quand il ne crée pas de toute pièce des comédies-musicales, donne la part belle à la musique. Le spectacle est jalonné de chansons, mélodies douces et légères, rap de la « maturité » (moment d’anthologie) qui donnent du souffle au texte, prolongent le récit sur un autre mode, aéré et fantaisiste, quand peluches et poupées accompagnent en chœur le chant de l’interprète. Hilarant et percutant, ce spectacle agit sur nous, toutes générations confondues, comme une catharsis joviale et salutaire. L’enfance est un temps révolu et il faut s’y faire, il appartient à chacun de cultiver sa mémoire comme un jardin secret qui nous rend unique. Une fois de plus, David Lescot fait mouche et touche en plein cœur.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Depuis que je suis né
Texte, mie en scène et musique : David Lescot
Avec Louise Guillaume ou Mirabelle Kalfon (en alternance)
Scénographie : Alwyne de Dardel
Conception sonore, électronique : Antony Capelli
Costumes : Olga Karpinsky
Perruques : Catherine Bloquère
Lumières : Paul Beaureilles
Collaborateur artistique : Romain PignouxProduction Théâtre de Sartrouville et des Yvelines–CDN.
Coproduction Compagnie du Kaïros avec le soutien du JTNTexte édité chez Actes Sud Papier Heyoka en janvier 2022
Création dans le cadre d’Odyssées en Yvelines le 18 janvier 2022
COPRODUCTION Théâtre de Sartrouville et des Yvelines, CDN – Compagnie du Kaïros avec la participation artistique du Jeune Théâtre national. Spectacle créé dans le cadre d’Odyssées 2022, festival de création théâtrale enfance et jeunesse conçu par le Théâtre de Sartrouville et des Yvelines-CDN, en partenariat avec le conseil départemental des Yvelines. La compagnie du Kaïros est subventionnée par le ministère de la Culture/DRAC Île-de-France. Texte édité chez Actes Sud Papier Heyoka en janvier 2022. David Lescot est artiste associé au Théâtre de la Ville Paris.A partir de 6 ans
Durée 45 mnDu 3 au 26 février 2023
A l’Espace Cardin
Dans le cadre du Parcours Enfance & Jeunesse du Théâtre de la Ville
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