Après Cap au pire, Jacques Osinski a de nouveau fait appel à l’insondable comédien pour s’approprier cette très courte pièce de Samuel Beckett. Un seul en scène troublant créé dans le off au Théâtre des Halles à Avignon et repris au Théâtre de l’Athénée.
Un long, très long silence. Alors que l’on attendait de lui des mots, l’homme assis à son bureau végète dans sa torpeur. Éclairé par une lumière blafarde, il patiente, regarde sa montre à gousset, de très près, comme s’il attendait quelqu’un ou quelque chose. La mort, peut-être. Soudain, il se lève, prend un trousseau de clefs, ouvre un tiroir et y découvre… une banane qu’il caresse, avant de la manger. Une première, puis une seconde fois. Dans un dénuement palpable, sa vie est réduite à cela, une suite de rituels qui comblent, comme ils le peuvent, le temps qui passe. Quand il ne se lève pas pour s’enquiller une bouteille hors-champ, l’homme fouille dans ses boîtes à archives pour y prélever des bandes à écouter. Cette fois, ce sera la bobine 5 rangée dans la boîte 3.
Au crépuscule de sa vie, qui n’a visiblement plus de saveur, il replonge alors dans son passé. Son présent n’a plus de sens, sinon celui d’alimenter une nostalgie, mâtinée d’auto-dérision, qui n’a d’autre but qu’elle-même. Enregistrée à 39 ans, trois décennies avant son écoute, la voix de l’homme sortie de la bande témoigne d’un amour intense, mais perdu. Bêtement. Parfois, quand les mots se transforment en claque, il interrompt la diffusion, soliloque un peu, puis reprend. Avant de tenter de réaliser une ultime bande qui n’a plus le lustre de celles d’autrefois, et montre, par sa pauvreté, la profondeur du vide.
Tout comédien n’aurait pas pu se frotter à un tel substrat, mais, en terres beckettiennes, Denis Lavant peut tout. En scène, il a le physique, l’allure et la posture naturellement étranges des anti-héros de Beckett. Leur douce folie aussi, plus dangereuse pour eux-mêmes que pour les autres, qui suscite un attachement paradoxal. Sa voix, sortie de la bande comme de sa bouche, agit comme un révélateur d’idées, et prouve sa fine lecture d’une pièce qui aurait pu demeurer, sans cela, bien obscure.
Déconcertante, La Dernière bande est sans doute moins radicale dans sa forme que Cap au pire – la précédente création du tandem Osinski-Lavant – mais tout aussi exigeante. Économe en mots, la partition de Beckett est riche de silences, que Jacques Osinski a su utiliser à dessein. Il y déniche les puits d’humour présents chez le dramaturge et allège le côté sinistre d’un homme dont la vie, si son cœur bat toujours, semble révolue. Le metteur en scène agit alors comme un guide dans la forêt beckettienne, et met à la portée du spectateur les clefs de compréhension dont chacun n’aura plus qu’à se saisir.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
La Dernière bande
de Samuel Beckett (Editions de Minuit)
Mise en scène Jacques Osinski
Avec Denis Lavant
Lumière Catherine Verheyde
Scénographie Christophe Ouvrard
Costumes Hélène Kritikos
Dramaturgie Marie PotonetProduction Compagnie L’Aurore Boréale
Coréalisation Théâtre des Halles, scène d’Avignon ; Athénée Théâtre Louis-Jouvet
Avec le soutien de l’Arcal
L’Aurore Boréale est subventionnée par le ministre de la Culture et de la Communication – DGCADurée : 1h20
Festival Avignon Off 2019
du 5 au 28 juillet à 21h30
Théâtre des HallesAthénée-Théâtre Louis Jouvet, Paris
du 7 au 30 novembre
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