Le dernier opéra de Jules Massenet revient à l’affiche de l’Opéra national de Paris, mis en scène par Damiano Michieletto qui déplie joliment la mémoire imaginative de son héros éponyme oscillant entre rêverie, fantaisie, nostalgie.
Un Don Quichotte confiné dans son appartement, l’air un peu bourru et déprimé, en gros gilet et en pantoufles, porté sur le whisky et les tranquillisants, vissé sur un fauteuil de son salon pastel à griffonner obstinément du papier aussitôt déchiré, ce n’est pas le flamboyant chevalier errant, le héros fantasque et diablement picaresque dont les rocambolesques rodomontades sont célébrées par Miguel de Cervantes au début du XVIIe siècle, mais plutôt un être au crépuscule de sa vie, hanté par le souvenir et l’imagination féconde, tel que Massenet, compositeur lui-même proche de la mort, le revisite à son image d’homme vieillissant.
Dans la nouvelle production aussi habile qu’élégante montée à l’Opéra Bastille, c’est avec exaltation et frémissement que Don Quichotte se remémore les épisodes de son foisonnant parcours. Comme dans une fable surréaliste, il se voit bientôt assailli d’ombres diverses soudainement débarquées (jeunes camarades étudiants facétieux, voyous filous à la James Dean, silhouettes noires de danseurs de flamenco). S’extrayant comme par magie de la bibliothèque, du tapis, du canapé, des murs entaillés, les fantômes viennent lui rappeler ses illustres exploits réels… ou inventés. A la faveur d’un élargissement du plateau pour lequel les murs du décors coulissent et s’ouvrent sur un profond espace aux couleurs d’une vieille salle de cinéma ou de dancing, espace qui se déplie comme le soufflet d’un appareil photo rétro, la mémoire de Don Quichotte s’active. Celui-ci, halluciné, revoit son premier amour se hisser sur le cheval de bois d’un carrousel enchanteur, se plaît à s’inventer guerrier en partant à l’assaut avec pour seule et minime arme sa lampe de chevet sur pied, replonge enfin dans un fiévreux bal des années sixties où affleurent autant de gaieté que de nostalgie.
Pour camper le rôle-titre, le baryton basse Christian Van Horn allie une solide robustesse à une certaine fragilité permettant de dévoiler toute l’humanité d’un héros fantasque et incommensurablement vulnérable. Il est accompagné par le Sancho épicurien d’Etienne Dupuis au prosaïsme presqu’un peu trop appuyé. Entre homme à tout faire et ami probe et fidèle, le rôle qu’il tient précisément dans l’adaptation proposée n’est pas tout à fait clair, mais l’affection complice qui se joue entre les deux personnages au dénouement est profondément tendre et émouvant. Les voix des deux chanteurs sont faites d’une belle étoffe à laquelle il manque encore un peu d’ampleur et une plus grande intelligibilité du texte. Le trio qui domine l’ouvrage est complété par Dulcinée trop banalement dessinée par un vilain costume mais qui profite des charmes vocaux envoûtants et généreux de son interprète Gaëlle Arquez.
Moins bouleversant et inspiré que Werther ou d’autres titres plus ou moins restés célèbres qui l’ont précédé, Don Quichotte ne contient ni de renversants élans lyriques ni d’inventions musicales innovantes, mais de bien jolis passages à l’écriture musicale assez simple et diversement subtile. L’œuvre est néanmoins fort bien défendue en fosse par le chef Patrick Fournillier à la tête d’un orchestre dynamique et coloré, qui assume avec aplomb mais sans trop d’ostentation les rutilantes espagnolades de la partition et se montre surtout très éloquent dans les moments les plus doux et mélancoliques. De quoi réellement accéder aux délices des rêves.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Don Quichotte
Mise en scène
Damiano Michieletto
Décors
Paolo Fantin
Costumes
Agostino Cavalca
Lumières
Alessandro Carletti
Chorégraphie
Thomas Wilhelm
Vidéo
Roland Horvarth / rocafilmLa Belle Dulcinée
Gaëlle Arquez
Don Quichotte
Christian van Horn
Sancho
Etienne Dupuis
Pedro
Emy Gazeilles
Garcias
Marine Chagnon
Rodriguez
Samy Camps
Juan
Nicholas Jones
Deux serviteurs
Young-Woo Kim
Hyunsik Zee
Chef des bandits
Nicolas Jean-Brianchon
Quatre bandits
Pierre André
Bastien Darmon
Gabriel Paratian
Joan PayetOrchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris
Chef des chœurs
Ching-Lien Wu
Direction musicale
Patrick FournillierDurée : 2H25
A l’Opéra Bastille, du 10 mai au 11 juin 2024
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