Face à l’inquiétude que génèrent les tensions entre communautés, nations et individus, la culture et le spectacle vivant ont probablement un rôle important à jouer en créant des passerelles. Passerelles entre les cultures, entre les langues et langages, entre les modes de vie et autres signes de représentation, d’appartenance. Car au-delà des apparences, nous restons persuadés que les distances sont plus courtes qu’elles n’y paraissent. Dès lors, toute expérience artistique visant à montrer que l’autre est un proche, que ses désirs, aspirations et peurs nous sont communs, est essentielle.
Mettre en relation Jean Racine, dramaturge français du 17ème siècle, auteur de tragédies classiques versifiées, et les jeunes acteurs de la Compagnie Kourtrajmé relève autant du cliché que de la nécessité. Car de prime abord, la distance qui les sépare – langue, thèmes, statut social… – peut sembler infranchissable. Et pourtant…
En utilisant d’un côté une méthode de répétition qui privilégie le sens avant la lettre, l’organicité avant la règle, la liberté avant la précision, et d’un autre côté en choisissant Andromaque, une pièce qui met en scène des personnages en proie à leurs désirs violents, leur impuissance et leurs échecs, la rencontre devient évidente, les corps, personnalités, singularités des acteurs absorbent la syntaxe racinienne et ces personnages d’un autre temps, d’une autre époque, d’autres mœurs prennent chair dans la réalité du présent.
Dans un espace nu, quelques chaises sur le côté, à peine quelques accessoires, les acteurs entrent sur scène comme on entre sur un ring : pour en découdre, par la parole assénée, par les punchlines dont Racine a le secret, par l’incarnation la plus concrète qui soit. Ça et là quelques écrans et caméras, car chez ces Princes Grecs comme de nos jours, la représentation est importante. Le style compte, il faut en imposer, montrer qu’on a du charisme, de la répartie, de l’humour, on s’érige soi-même comme modèle tout en confondant son opinion avec la vérité. Montrer à tous qui on est et de quoi on est capable, par amour, par honneur ou par vengeance vaut plus que le reste. Voilà un des facteurs qui accélère la tragédie : il n’y a pas d’intimité dans Andromaque, les personnages – comme les acteurs – sont sans cesse observés par le peuple, analysés, jugés en temps réel. Il est interdit de faillir, interdit de montrer qu’on s’est trompé. Même les faiblesses livrées sous forme de confidence face à la caméra n’existent que pour attendrir et influer sur l’opinion publique.
Ainsi, nous verrons Oreste désirer Hermione ; Hermione qui hait autant Pyrrhus qu’elle ne l’aime ; Pyrrhus maître des lieux prêt à toute violence pour posséder la seule femme qu’il ne peut avoir, Andromaque ; et enfin Andromaque, une femme captive, dernière représentante d’un peuple soumis à un génocide. Leurs confidents, à la façon d’un chœur antique sage et pondéré, tenteront d’apaiser les frustrations, de consoler les egos mis à mal, d’appeler à la mesure, à la raison et même à l’amour – de l’autre avant l’amour de soi-même…
Mais rien n’y fera. Une tragédie reste une tragédie et quels que soient les efforts pour s’y soustraire, le sang coulera et la détresse d’un Oreste assassin et abandonné résonnera comme un écho à l’immense solitude de l’être humain d’hier et d’aujourd’hui.
Note d’intention de Cyril Cotinaut
Andromak
D’après Andromaque de Jean Racine
Mise en scène Cyril Cotinaut
Avec Habib Adda, Dayana Bellini, Wacil Ben Messaoud, Moussa Cissé, Vera Cupic-Vojnovic, Gradi Kumbi, Olivia Kuy et Kahina Lahoucine
Lumières Andrea Vida
Collaboration artistique Sébastien Davis et Ludivine Sagnier
Directrice de Production Nedjma HachemiProduction Compagnie Kourtrajmé
Coproductions Châteauvallon-Liberté, scène nationale de Toulon / Château Rouge, scène conventionnée d’Annemasse / Théâtre Jean-François Voguet, Fontenay-sous-bois / Ateliers Médicis, Clichy-Montfermeil
Avec le soutien de l’ADAMI et du CENTQUATRE-Paris8 novembre
Espace 93, Clichy-sous-bois19-23 novembre
Château Rouge, Annemasse22-23 janvier 2025
Festival Les Singulier.es, CENTQUATRE-Paris
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