Associé au Nouveau Théâtre de Montreuil – Centre Dramatique National, l’ensemble instrumental L’Instant Donné met une composition d’Aurélien Dumont au service de Black Village de Lutz Bassmann, hétéronyme d’Antoine Volodine. Mise en scène par Frédéric Sonntag, leur pièce-concert peine à approcher la migration surréaliste contée dans le texte.
Post-apocalyptique, l’univers d’Antoine Volodine – qui signe également sous le nom de Lutz Bassmann, de Manuela Draeger et d’Elli Kronauer – est peuplé de créatures qui stagnent quelque part entre la mort et la vie. Parfois hybrides, mi-hommes mi-animaux, elles vivent des aventures improbables, aussi désespérées que rocambolesques. Cela dans des paysages qu’on imagine proches de ceux du cinéaste Andreï Tarkovski, pleins de ruines, envahis peut-être par une nature luxuriante mais contaminée par un quelconque désastre. Par une catastrophe déjà ancienne, mais dont l’humanité ne se remet pas. Le potentiel cinématographique de ce monde apparaît d’emblée ; pour la scène, il représente un défi auquel plusieurs artistes se sont déjà mesurés. Charles Tordjman par exemple, avec Slogans et Vociférations (2008). Plus récemment, la compagnie Morbus Théâtre avec le concert théâtral Balbutiar XI (2019), et depuis une dizaine d’années Joris Mathieu.
C’est aujourd’hui un ensemble instrumental, L’Instant Donné, qui s’attèle à donner forme au « post-exotisme » imaginé et pratiqué par Antoine Volodine dès ses premiers romans. Imprégné de longue date par l’écriture de l’auteur aux multiples pseudonymes – « l’œuvre d’Antoine Volodine fait partie de ces découvertes marquantes et a, depuis plusieurs années maintenant, une influence devenue essentielle sur mon écriture musicale », dit-il dans le dossier du spectacle –, le compositeur Aurélien Dumont a souhaité poursuivre son exploration. Dans Black Village, adaptation du roman éponyme paru en 2017 chez Verdier, il décide d’intégrer pour la première fois à ses compositions les mots de Volodine. Il fait pour cela appel au metteur en scène Frédéric Sonntag, qui fait preuve dans ses créations – voir par exemple notre critique sur L’Enfant Océan, son premier spectacle jeune public – d’un goût prononcé pour les intrigues labyrinthiques peuplées de anti-héros. Son entrée dans Black Village s’annonçait donc sous les meilleurs auspices.
Dans l’obscurité, les notes qui nous accueillent promettent une symphonie. Celle-ci est pourtant très vite avortée, comme tous les récits qu’entreprennent les trois protagonistes de Black Village : Tassili, Myriam et Goodman, anciens membres du service Action d’une organisation dont on se ne saura rien. Contraint à un mystérieux voyage juste avant ou après la mort de ses membres – de cela non plus on ne sera jamais sûr –, l’étrange trio rythme son parcours souterrain possiblement sans fin par des histoires ou « narrats ». Pas moins de trente-cinq, car s’ils n’ont aucune peine à commencer leurs fables toutes situées dans un certain « Black Village », ils sont incapables de les terminer. D’où une structure hétérogène, accidentée, que Frédéric Sonntag choisit de faire porter à la seule actrice Hélène Alexandridis. Tandis que six musiciens de l’Instant Donné – Mayu Sato-Brémaud à la flûte, Caroline Cren au piano, Maxime Echardour à la percussion, Saori Furujawa au violon, Elsa Balas à l’alto et Nicolas Carpentier au violoncelle.
En partie du fait de ce déséquilibre, la rencontre entre les mots et les sons est laborieuse. Pleine de ruptures, d’invention, la composition musicale dialogue avec les subtiles lumières de Manuel Desfeux. Elle peine par contre à accompagner l’histoire extraordinaire de la mort de Bortchouk, celle de la mission de l’agent secret Marta Bogoumil ou encore d’un certain Zababourine qui joue un monologue devant une salle vide – à l’exception de trois grands brûlés, qui passent d’ailleurs de vie à trépas pendant le spectacle –, racontés par la comédienne à la manière de contes. Sans le trouble, sans l’inquiétante étrangeté qui fait singularité et la grande cohérence de l’œuvre d’Antoine Volodine. Trop en deçà de la partition musicale de L’Instant Donné, la part théâtrale de Black Village dessert l’ensemble de la pièce. Alors que la question de la place de la fiction, du poids des mots dans la vie, est au centre du livre.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Black Village
Un projet proposé par L’Instant Donné
Texte : Lutz Bassmann (alias Antoine Volodine)
Mise en scène : Frédéric Sonntag
Composition : Aurélien Dumont
Création lumière : Manuel Desfeux
Scénographie, costumes, accessoires : Juliette Seigneur
Régie générale : Sylvaine Nicolas
Production : L’Instant Donné, Nouveau théâtre de Montreuil – CDN
Coproduction : La Muse en Circuit – Centre National de Création Musicale à Alfortville, GMEM Centre National de Création Musicale à Marseille, Théâtre de Lorient – CDN de Bretagne
Soutien : Fondation Francis, Mica Salabert, Région Île-de-France
Avec l’aimable autorisation des Éditions Verdier et la participation artistique du Jeune Théâtre National.
Durée : 1h10
Nouveau Théâtre de Montreuil – CDN
Du 17 au 19 décembre 2019
Théâtre de Lorient
Les 21 et 22 janvier 2020
La Friche Belle de Mai – Marseille
Le 16 mai 2020
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