Aux Bouffes du Nord, l’Académie de l’Opéra national de Paris livre sans retenue toute la force émotionnelle du Viol de Lucrèce, poignant opéra de chambre de Britten pétri de langueur et de violence.
Le plateau des Bouffes du Nord est un écrin que Jeanne Candel connaît bien pour y avoir déjà présenté nombre de créations comme Le Crocodile trompeur d’après Didon et Enée, une singulière et totale réussite entre théâtre et opéra. Dans un registre moins parodique et beaucoup plus dramatique, Le Viol de Lucrèce y trouve un décor à la fois intime et grandiose. Ses hauts murs rougeoyants et lézardés rendent opportunément compte du monde en ruine dans lequel se place l’intrigue, un monde défait par la guerre et plongé dans le sang. C’est d’ailleurs les mains écarlates ou sous un voile de deuil que s’avance dans la pénombre le couple inaugural de récitants. Tobias Westman et Andrea Cueva Molnar se font commentateurs inspirés et éclairés de l’action autant que des passions humaines dangereuses et destructrices qui habitent l’œuvre.
Une jeune équipe d’interprètes investis aussi bien musicalement que théâtralement donne avec conviction six représentations de la pièce. Chanteurs et musiciens rendent justice au drame magnifié par la composition chambriste, à la fois claire et lugubre, que Britten a écrite un an après le succès mondial de Peter Grimes et dans une esthétique totalement renouvelée, défendue par un ensemble orchestral certes réduit en effectif mais véhément dans son discours. Sous la direction de Léo Warynski, des instrumentistes issus de différentes formations révèlent la limpidité avec laquelle la partition conjugue les atmosphères et trouve le juste équilibre entre délicatesse et expressivité. Les couleurs scintillantes et nocturnes dessinées à la harpe et la langueur des violons en sourdine côtoient les accents plus toniques voire rugueux et menaçants de l’enthousiasmante chevauchée de Tarquin vers Rome. La distribution n’est pas spécialement homogène mais expose de solides talents, forts en présence vocale et scénique, à commencer par Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, lumineuse dans le rôle de Lucrèce.
En faisant du cadre de scène un géant métier à tisser autour duquel les femmes s’accommodent de tâches domestiques et printanières tout en laissant s’exprimer la nostalgie de la jeunesse et un irrépressible appel de la passion, Jeanne Candel impose une dimension mythologique à Lucrèce représentée à l’instar d’une Pénélope comme une aimante patiente et importunée. D’abord suspendue, une vaste pièce de couture aux couleurs méditerranéennes descend des cintres pour recouvrir la scène du crime odieux qui donne son titre à l’œuvre. Dépouillée, la mise en scène exacerbe de manière bien concrète mais sans trop de crudité les passions, les pulsions des personnages. Prosaïque dans sa première partie qui dépeint la vie de caserne et l’épaisse virilité de militaires pleins de frustration et de convoitise, elle déploie ensuite une belle sensibilité jusqu’à son issue tragique. La chaste épouse de Collatinus, prise au piège du plan terrible qui l’a déshonorée, lavera sa honte en se donnant la mort.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Le viol de Lucrèce
Musique Benjamin Britten
Livret Ronald Duncan d’après la pièce d’André Obey inspirée du poème de William Shakespeare
Musique Benjamin Britten
Livret Ronald Duncan d’après la pièce d’André Obey inspirée du poème de William ShakespeareDirection musicale Léo Warynski
Mise en scène Jeanne Candel
Décors Lisa Navarro
Costumes Pauline Kieffer
Lumières César Godefroy
Préparation musicale Jeff CohenAvec
Male Chorus Tobias Westman (Cast A), Kiup Lee (Cast B)
Female Chorus Andrea Cueva Molnar (A), Alexandra Flood (B)
Collatinus Aaron Pendleton (A), Niall Anderson (B)
Junius Alexander Ivanov (A), Danylo Matviienko (B)
Tarquinius Alexander York (A), Timothée Varon (B)
Lucretia Marie-Andrée Bouchard-Lesieur (A), Ramya Roy (B)
Bianca Cornelia Oncioiu
Lucia Kseniia ProshinaOrchestre
Violon Marc Desjardins (19/05/2021), Antoine Maisonhaute, Léo Mariller
Alto Marie Ducroux
Violoncelle Julien Siino
Contrebasse Zi An Wu
Hautbois Ariane Baquet
Flûte traversière Gladys Avignon
Clarinette Samuel Buron-Mousseau
Basson Jeanne Lavalle
Cor Orane Baragain
Percussions Morgan Laplace Mermoud
Harpe Odile Foulliaron
Piano Christopher VazanProduction de l’Académie de l’Opéra national de Paris
Coréalisation C.IC.T. – Théâtre des Bouffes du NordDurée du spectacle : 2h avec une pause de 10 minutes
Spectacle en anglais surtitré en françaisThéâtre des Bouffes du Nord
Du 19 au 29 mai 2021
Le mercredi 19, les jeudis 20 et 27, les samedis 22 et 29 et le mardi 25 mai à 18h
Cast A les 20 et 25 mai
Cast B les 19, 22, 27 et 29 mai
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