Aziz Chouaki redonne un visage et une histoire à une poignée d’exilés qui, au péril de leur vie, tentent de traverser la Méditerranée. Accompagné par le musicien Vasken Solakian, Hovnatan Avédikian les incarne tous à la fois, avec aisance et générosité.
Ces derniers temps, les flux migratoires ont montré leur face la plus sombre. L’incurie de certains dirigeants politiques, la violence d’autres, et le repli des pays d’accueil sur eux-mêmes ont progressivement transformé la Méditerranée en tombeau. Tant et si bien que « dans cent ans, lorsqu’on sondera les fonds de ce petit bout de Méditerranée et qu’on y trouvera des centaines de corps humains, on se demandera quelle guerre s’est jouée là », se désole l’écrivain Roberto Saviano dans une tribune publiée par « Le Monde ».
A ces « migrants », comme il est désormais convenu de les appeler tel un flot anonymisé, Aziz Chouaki redonne un visage, une histoire, une individualité. Paru en 2014, Esperanza, sous-titré (Lampedusa), raconte le périple de candidats à l’exil embarqués, au péril de leur vie, sur un radeau de fortune baptisé « Esperanza ». Nigérien ou algérien, ingénieur ou ancien flic, handicapé ou poète, tous n’ont qu’un seul objectif : accoster sur les rivages de l’Eldorado européen pour s’offrir un avenir meilleur.
Loin d’être naïf, le texte de Chouaki a le mérite de remettre les points sur quelques i. Avec le sourire, régulièrement fondu en un rire jaune, le dramaturge sonde les motivations de ces déracinés volontaires et en profite pour envoyer, l’air de rien, de subtils uppercuts teintés d’amertume. Bien avant de rechercher je-ne-sais-quelle allocation, ces hommes veulent fuir un continent qui au mieux les délaisse, au pire les menace. En creux, Chouaki dresse un sombre tableau de ces pays du Sud où des populations pleines d’espoir, d’envie et de ressources se heurtent à une caste qui dirige pour elle-même au lieu de se préoccuper des citoyens qu’elle administre. La réalité ayant, en la matière, un malheureux temps d’avance sur la fiction, on pourra simplement regretter qu’il n’ait pas pu – ou pas voulu – davantage insister sur les écueils mortifères d’une telle traversée, et notamment évoquer le calvaire pré-embarquement de bon nombre d’exilés, enfermés ou réduits en esclavage en territoire libyen.
Ce savant mélange de tragique et de burlesque, nourri par un équipage qui prend parfois les allures d’une troupe de pieds-nickelés, Hovnatan Avédikian le transforme en un conte où l’espoir semble, pour une fois, en mesure de triompher. Accompagné par Vasken Solakian, drôle de musicien faussement aveugle, il incarne tous les passagers en même temps, avec une aisance redoutable et une générosité remarquable. Bercé ou pimenté par des airs de bouzouki qui soulignent la musicalité du texte de Chouaki, Europa, sous-titré (Esperanza), étonne par sa simplicité et son humanité. Un exercice théâtral salutaire en ces heures si troublées.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
EUROPA
(Esperanza)
Texte Aziz Chouaki
Mise en scène Hovnatan Avédikian
Avec Hovnatan Avédikian et Vasken Solakian
Production Antisthène
Le spectacle a été en résidence de création au Lavoir Moderne Parisien en mars et avril 2018
Durée : 55 minutes
Festival Avignon OFF 2019
Théâtre du Girasole
Du 5 au 28 Juillet 2019
Relâche les 8, 15 et 22 Juillet
21h30Cité Miroir – Centre d’art
Liège, Belgique
Les 10 & 11 Octobre 2019
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