Au Théâtre de l’Athénée, le comédien et metteur en scène embarque dans l’œuvre hallucinée du Comte de Lautréamont. De ce voyage en terres surréalistes, il révèle la beauté, sans parvenir à en restituer la force.
Benjamin Lazar se présente, seul. Dans son costume sombre aux paillettes bleutées, il a l’allure d’un maître de cérémonie, d’un passeur prêt à entrebâiller la porte d’un univers singulier, déterminé à accompagner son public dans un voyage d’une belle âpreté. Après s’être penché sur la figure de Cyrano de Bergerac, et avoir donné corps à un envol de la liberté et de la pensée dans L’Autre monde ou les états et empires de la lune, il a choisi de plonger dans les profondeurs des Chants de Maldoror, ce « vieil océan » où s’engouffre Isidore Ducasse, alias le Comte de Lautréamont, celui du subconscient et de l’âme humaine.
Longtemps restée dans les limbes, cette œuvre singulière, publiée à compte d’auteur au milieu du XIXe siècle, a été exhumée par les surréalistes, Breton, Dali et Soupault en tête. Et on ne comprend que trop, en l’entendant, ce qui a pu séduire ces férus de mirages littéraires, comment Lautréamont a pu devenir, à leurs yeux, le premier d’entre eux. Dans sa petite chambre de bonne, le jeune Isidore Ducasse a construit un monde d’une beauté cruelle, de ceux qui placent l’imaginaire débridé au-dessus d’une triste réalité. Au long d’une divagation hallucinée, son personnage, Maldoror, sorte de double littéraire, mène une vie monstrueuse, sulfureuse. Il rencontre, pêle-mêle, une femme requin, avec qui il s’accouple, recueille les lamentations d’un cheveu délaissé, se prend à rêver d’une course à cheval en duo avec l’homme qu’il a, dans une autre vie, aimé.
Dans ce maelström foisonnant, Benjamin Lazar est allé piocher des fragments. Peu à peu, il se laisse envahir par le personnage. De passeur, il devient acteur. Comme toujours, le metteur en scène a su mêler les arts. La création visuelle de Joseph Paris et les innovations sonores de Pedro Garcia-Velasquez et Augustin Muller offrent à cette composition sensible ses meilleurs moments. Elles la nimbent d’une ambiance à la fois intrigante et effrayante, et donnent à Maldoror un double, un triple, un quadruple visage, caché derrière ce voile qui devient le support de projection des turpitudes de l’âme humaine.
Dommage qu’elles soient trop rares pour soutenir une proposition qui, globalement, manque de rythme et de souffle. Benjamin Lazar sait créer des univers, des images, et il le prouve une nouvelle fois, mais son incursion dans Les Chants de Maldoror reste en surface. Elle se révèle trop sage, dénuée de l’énergie et de la folie nécessaires pour en révéler la force. Malgré le bel écrin scénographique, le comédien paraît bien seul dans cette grande salle de l’Athénée. Son jeu, tout en finesse, n’est pas en cause, mais à trop vouloir surfer sur le registre de l’intimité, il s’enferme dans une bulle scénique où le spectateur, bercé par la beauté de la langue métaphorique, peine à pénétrer. Pour apprécier le sel de cette parole faite de méandres et de sinuosités, il faut tendre l’oreille et fermement s’accrocher. Las, au soir de la première, Maldoror nous a bel et bien filé entre les doigts.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Maldoror
d’après Les Chants de Maldoror du Comte de Lautréamont (Isidore Ducasse)
Mise en scène et interprétation Benjamin Lazar
Scénographie Adeline Caron et John Carroll
Costumes Adeline Caron
Lumières John Carroll
Création sonore et musicale Pedro Garcia-Velasquez et Augustin Muller
Images Joseph Paris
Collaboration artistique Jessica DalleProduction Théâtre de l’Incrédule
Coréalisation Athénée Théâtre Louis-JouvetDurée : 1h30
Athénée Théâtre Louis-Jouvet, Paris
du 2 au 19 octobre 2019
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