Au Studio-Théâtre de la Comédie-Française, Marc Lainé s’empare de la nouvelle de Jack London « Construire un feu ». Dans une scénographie immaculée, où théâtre et cinéma se mêlent habilement, le trio de comédiens déploie un jeu forcé qui nuit à la mise sous tension dramatique.
Au fil des spectacles, les contrées glaciales et glaçantes sont devenues le terrain de jeu favori de Marc Lainé. Après avoir affronté le Grand Nord dans « Vanishing Point » et s’être frotté à l’effroi lycanthropique dans « Hunter », le metteur en scène et scénographe a choisi d’arpenter les étendues glacées de l’ouest du Yukon et d’adapter « Construire un feu ».
Polaire, la nouvelle de Jack London l’est à plus d’un titre. Sur les bords de la rivière Klondike, par -75°C, un supposé chercheur d’or se lance à la poursuite de ses compagnons qui ont opté pour un autre itinéraire. Seulement accompagné par un chien, l’aventurier sait qu’à cette température frigorifique la moindre erreur peut lui être fatale et lui coûter une main, un pied, voire la vie. D’abord précautionneux pour éviter les chausse-trappes naturelles qui pourraient causer sa perte, il pèche rapidement par excès de confiance, le même qui l’a poussé à vouloir partir seul, alors qu’un vieil homme avait tenté de l’en dissuader. Ivre d’orgueil, aveuglé par la construction de feux théoriquement salvateurs, le marcheur ne se rend pas compte qu’il est en train de perdre le défi lancé à cette Nature furieuse.
Pour figurer cet horizon hostile, Marc Lainé a mobilisé son talent de scénographe et réemployé les recettes qui ont, par le passé, fait son succès. Tout de blanc revêtu, le petit plateau du Studio-Théâtre de la Comédie-Française se transforme en point de confluence, où cinéma et théâtre peuvent se mêler afin de dessiner les perspectives de ces grands paysages canadiens. A l’aide de maquettes et de fonds blancs, le metteur en scène tourne des images artisanales qui offrent une profondeur supplémentaire à la nouvelle de Jack London. Filmé en gros plan et en noir et blanc, le visage de Nâzim Boudjenah dit tout des ravages du froid, de la détermination fiévreuse, bientôt suivie par une déliquescence douloureuse.
A ses côtés, Pierre Louis-Calixte et Alexandre Pavloff prennent en charge le récit. Au premier, le calvaire de l’homme ; au second, le regard cruel du chien. Tels des anges gardiens diaboliques grimés en cow-boys de western, les deux compères conseillent et malmènent l’aventurier qui devient la marionnette de ces amis-ennemis au comportement trouble. Au lieu d’adopter un jeu froid et distancié, fait de silences et de murmures, les comédiens misent sur des intonations appuyées et des intentions enlevées qui brisent le rythme savamment cadencé par Jack London. Porté par le rapprochement imminent de la mort, le drame enserrait naturellement cet homme livré à lui-même. A trop vouloir alimenter le feu théâtral, Marc Lainé a pris le risque de l’étouffer.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Construire un feu
Marc Lainé / La Boutique Obscure
Ce spectacle est une production du Studio-Théâtre de la Comédie Française.Traduction : Christine Le Boeuf
Version scénique, mise en scène, scénographie et costumes : Marc Lainé
Lumière : Kévin Briard
Son : Morgan Conan-Guez
Vidéo : Baptiste Klein
Collaboration à la scénographie : Stephan ZimmerliAvec
Alexandre Pavloff
Pierre Louis-Calixte
Nâzim BoudjenahProduction Comédie Française
Coproduction La Boutique ObscurDurée : 1h10
Au Studio-Théâtre de la Comédie-Française
Du 15/09/18
au 21/10/18
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