Catch est le spectacle d’ouverture de la saison du Théâtre de la Tempête, à la Cartoucherie de Paris. Clément Poirée, le directeur de La Tempête a décidé de transformer son théâtre en salle de catch. Avec sa troupe de lutteurs (Camille Bernon, Bruno Blairet, Clémence Boissé, Eddie Chignara, Louise Coldefy, Joseph Fourez, Stéphanie Gibert, Thibault Lacroix, Pierre Lefebvre-Adrien, Fanny Sintès), il invite le public à un grand exutoire, à une grande purgation de nos passions. De Battery Pork à Prince Charming, en passant par Kaapital, KassNoisette, Saturne ou Priapico, à chacun son rôle. Rencontre au bord du ring avec le metteur en scène/entraineur.
Vous débutez la saison avec Catch ! spectacle de théâtre d’un genre particulier, car il mêle le théâtre à travers les codes du catch.
Catch est une forme de fête libératrice. C’est un grand carnaval de toutes les duretés, toutes nos peurs, toutes nos angoisses, tout ce qu’on n’aime pas voir et entendre. Ce n’était pas un spectacle sur le catch. C’est vraiment du catch théâtral, du ring art dit-on pour rigoler. On a vraiment repris le déroulement d’une soirée de catch pour avoir ce rapport que je trouve très beau de cet affrontement de nos passions avec des grands archétypes évidemment complètement dévoyés, réinventés par les auteurs et les autrices qui se sont prêté.es au jeu, c’est à dire Emmanuelle Bayamack-Tam, Hakim Bah, Koffi Kwahulé, Sylvain Levey et Anne Sibran et qui ont écrit un match de notre étrange soirée.
Comme s’est opérée l’écriture ?
On a fonctionné d’une façon très différente de d’habitude. Pour les auteurs aussi, c’est à dire que l’on a réfléchi à comment le catch se construisait. Dans le catch ce sont les interprètes, les catcheurs, qui construisent leurs figures et leurs personnages. On s’est tous réunis, autrices, auteurs, acteurs, actrices. Et en premier lieu, les actrices et les acteurs, avec des propositions, des choses sur lesquelles elles et ils avaient envie de réfléchir ou de construire des figures. Et puis les autrices et les auteurs sont arrivés avec des idées et sur cette base commune on a pu présenter nos grands archétypes, les grandes figures qu’on aimerait voir sur un ring. Ils sont repartis dans leur tanière sans aucune autre consigne, en toute liberté, et sans se consulter. Puis on a reçu les textes. C’est une procédure d’écriture très nouvelle pour moi. C’est peu comme quand on fait un cadavre exquis. Quand on a reçu les textes, c’était comme les déplier et découvrir les lignes de tension qui innervent nos esprits.
Vous cassez le 4e mur. Comment avez-vous constituer ce nouvel environnement théâtral ?
On a vraiment transformé la salle du Théâtre de la Tempête en un lieu de catch, en un ring underground. Ce qui compte beaucoup pour nous, c’est le rapport qu’on va réussir à instaurer avec le public. Un rapport qui soit très vivant où on fait sauter le quatrième mur. On ose les outrances, on montre des choses qui sont vraiment puissantes, dures. Mais c’est du faux. Le catch ce sont des combats où ce qui est mis en scène c’est la douleur. On compatit avec les lutteurs. On déteste celui qui fait mal. On aime généralement celui qui souffre. Mais on sait que c’est faux. La convention est très importante. C’est faux, donc on peut s’en libérer. Le travail a été formidable avec toute l’équipe artistique.
D’où vous vient cette passion pour le catch?
De l’enfance. Je me souviens avoir vu avec ma grand mère des matchs de catch français. Il a été extrêmement prestigieux pendant les années 60 jusqu’aux années 80 avant d’être supplanté par le catch américain. Il y avait une fascination chez moi. Et puis, j’ai toujours continué à regarder du catch comme ça, comme détente. Cela fait quelques années que l’on ressent une tension insupportable dans les relations sociales, et on a l’impression que les gens ont envie d’en découdre. Comment faire fête de nos combats de façon à ce qu’ils n’aient pas lieu au quotidien, dans la rue, et que l’on puisse faire communion autour de ces conflits qui nous rongent. Et puis ce qui a sonné dans ma tête, c’est un mot de Brecht quand il était critique théâtrale et il disait : « Dans nos salles, il nous faut du bon sport ». Et je crois que c’est vrai. Il y a un petit verrou à faire sauter qui est la bonne consommation culturelle. On travaille quotidiennement à chercher à faire de beaux objets au Théâtre de la Tempête mais là, j’avais envie de déplacer un tout petit peu ça et d’aller chercher le nerf et le muscle et de libérer le public de l’autorité de parole que le spectacle peut représenter et parfois même peser sur les spectateurs. Et ainsi l’englober complètement dans la représentation.
De quoi parlent les textes ?
Ils sont tous en prise avec le temps sur la question de l’environnement, du rapport homme femme, du rapport des générations. On passe par beaucoup de thématiques, forcément de façon généralement ludique, mais pas uniquement. Il y a aussi des matchs qui sont proches du tragique. Même si c’est une soirée essentiellement enjouée dans son essence. Ce qui est amusant, c’est qu’on fait du catch avec des auteurs qui ne cessent de déjouer le catch pour nous ramener au théâtre et nous emmener un peu ailleurs.
Comment les comédiens et les comédiennes se sont répartis les personnages ?
Chaque comédien et comédien a au moins un personnage dont il a été à l’origine. Parfois, il y a eu des échanges. Une figure proposée par un comédien a fini sur le dos d’un autre. On a fait d’ailleurs un travail qui était extrêmement réjouissant et joli avec la photographe Pauline Fanchon Bibille en créant une galerie de portraits pour leur créer une petite mythologie et les sublimer. Parce que le ring, c’est un endroit qui sublime les cultures. Et on retrouve des figures qui sont inaptes à combattre. Mais l’effet du ring est sublime. C’est à dire que si on est par exemple obèse dans la plupart des sports, on sera invalide à combattre. Dans le catch ce n’est pas le cas. Et même d’ailleurs, dans des cultures qui sont parfois très fermées, très homophobes, il toujours des grandes figures d’homosexuels extravertis et tout le monde les applaudit. En Afrique, dans le catch fétiche, il y a une star qui est applaudie dans toute l’Afrique, qui s’appelle Tchoutchou Sida. Elle est acclamée sur le ring. Là, on est au cœur de ce que permet le catch, c’est à dire voir monter nos peurs, nos grands effrois, nos cauchemars et les incarner et pouvoir soit les acclamer ou au contraire les huer.
Est ce que les comédiens et les comédiens ont travaillé avec un entraîneur de catch ?
Bien que nous ne prétendons pas à la virtuosité des quatre fers, c’est quand même très impressionnant ce qu’ils sont capables de faire, c’est lié à une tolérance à la douleur car même si tout est faux dans le déroulement, ce qu’ils font est extrêmement dangereux et douloureux. Nos armes sont plus théâtrales que catchesques, alors on a fait appel à Marc Mercier, le président de la Fédération française de catch, et à certains de ces jeunes catcheurs qui nous ont guidés dans la pratique, qui nous ont donnés des coups de main très précieux pour réaliser des gestes spectaculaires. Et surtout pour ne pas se mettre en danger. Ils ont trié dans nos impulsions car on a des actrices et des acteurs qui sont des risque-tout. Leur aide a été très précieuse.
Propos recueillis par Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
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