Créé à Lyon dans le cadre du Festival Sens Interdits, Titre provisoire de Chrystèle Khodr et Waël Ali aborde à travers une archive familiale les questions de la migration et de l’exil. Entre témoignage et métathéâtre.
De retour dans son ancienne maison familiale de Beyrouth, la comédienne et auteure Chrystèle Khodr découvre parmi des objets abandonnés une vieille cassette audio. Elle l’écoute et entend le témoignage de son oncle, parti pour la Suède en 1976 afin de fuir la guerre civile qui sévit au Liban depuis près d’un an. Par mail, elle informe son ami et metteur en scène syrien Waël Ali de cette découverte. Une histoire, explique ce dernier dès les premières minutes de la pièce, qui aurait pu faire office d’introduction. D’emblée, celui-ci voit dans cette une histoire une matière théâtrale. Mais comment introduire une pièce ainsi marquée par la guerre en Syrie ? A partir des recherches de Chrystèle ? De l’exil de son oncle, ou même de celui de son grand-père en 1916, fuyant Alep pour s’installer à Beyrouth ? Comme son titre l’indique, « Titre provisoire » s’inscrit sous le signe du doute. De l’intranquillité
Dans Je ne me souviens plus (2014), sa première création en France, Waël Ali faisait déjà preuve d’une grande exigence de questionnement en mettant en scène l’ancien prisonnier politique et musicien Hassan Abd Alrahman. Interrogeant autant sa mémoire en lambeaux que le statut de sa parole, le joueur de luth portait avec force un singulier théâtre de l’exil dont Titre provisoire prend la suite. Bien que produite avec davantage de facilité que le projet précédent – par le festival Sens Interdit, par Les Subsistances ainsi que par la structure marseillaise Les Bancs Publics – cette nouvelle pièce fait à nouveau cohabiter témoignage et critique du témoignage. Cela de manière d’autant plus sensible que Waël Ali y donne autant à voir son propre trouble que celui de Chrystèle Khodr.
Nourri par son expérience du théâtre interactif – très développée en Syrie depuis les années 2000, cette pratique est inspirée des techniques du Théâtre de l’Opprimé du Brésilien Augusto Boal – ainsi que par le théâtre documentaire occidental et libanais d’après-guerre, Waël Ali développe une forme hybride. Un théâtre qui documente sa propre impuissance par différents moyens. Humains et technologiques. Caméra à la main, Waël Ali se filme ainsi en train d’exprimer ses peines à faire le moindre choix. Tandis que, quasi-muette, Chrystèle Khodr écoute se dérouler la bande son enregistrée par son oncle. Et que les techniciens et autres collaborateurs – Hassan Al Balkhi, Toni Geitani et Khaled Yassine – présentés en début de spectacle par Waël Ali, demeurent silencieux autour d’une table. Tous étant à la fois au cœur de la représentation en cours et coupés d’une certaine manière de celle-ci.
Ce riche et passionnant processus ne va pas sans une certaine confusion. Des anecdotes suédoises se mêlent à une tentative de portrait du grand-père de la comédienne, aux listes que Waël Ali confie dresser à toute occasion ou encore à des réflexions sur le théâtre en exil… Titre provisoire refuse au spectateur tout confort. Tout récit en bonne et due forme. S’il n’est pas sans défauts, tend ainsi un miroir au champ théâtral dans lequel il est parvenu à s’inscrire. Comment jouer, et donc séduire, tandis que la guerre fait rage ailleurs ? En Syrie par exemple ? Quand des réfugiés sont condamnés à l’errance ? Waël Ali et Chrystèle Khodr sont des passeurs de questions.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Titre provisoire
Texte et conception : Chrystèle Khodr et Waël Ali
Mise en scène : Waël Ali
Avec : Hassan Al Balkhi, Waël Ali, Toni Geitani, Chrystèle Khodr, Khaled Yassine
Scénographie : Bissane Al Charif
Musique : Khaled Yassine
Lumière : Hasan Al Balkhi
Vidéo : Toni GeitaniThéâtre La Vignette – Université Paul Valéry, Montpellier
Les 15 et 16 novembre 2017.
Festival Les Rencontres à l’Échelle, Marseille
Les 22 et 23 novembre 2017.
http://www.lesrencontresalechelle.com
Théâtre Jean Vilar, Vitry-sur-Seine
Le 4 avril 2018.
http://www.theatrejeanvilar.com
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !