Au théâtre Marigny où la Comédie-Française s’établit momentanément cette rentrée, Christophe Honoré revisite Le Côté des Guermantes, troisième tome d’A la recherche du temps perdu, dans une évocation à la fois très personnelle et fidèle à l’esprit brillant et déliquescent de son auteur Marcel Proust. Sans prétendre à l’exhaustivité, il en extrait malignement des instantanés où se conjuguent drôlerie caustique et déchirante mélancolie.
Après Nouveau Roman et Les Idoles, Christophe Honoré n’en finit pas de convoquer au théâtre ses affinités littéraires. Si le genre romanesque est de plus en plus en plus couramment porté au plateau, rares sont encore les metteurs en scène à s’être risqués sur La Recherche. Krzysztof Warlikowski en a signé plusieurs versions dont la dernière, bouleversante, montrait l’inévitable agonie d’un monde en proie à l’extinction. Sans renoncer à une tonalité spleenétique caractéristique de l’œuvre, aucun excès mortificatoire ne se trouve dans le beau travail de Christophe Honoré. Au contraire, son approche de Proust est gourmande, vibrante, étreignante. Malgré quelques inévitables longueurs et baisses de régime, elle réjouit de bout en bout de son allègre vivacité. Honoré emporte avec lui une conséquente troupe d’acteurs. Souvent épatants même si parfois encore un peu hésitants, ils se jettent physiquement et intellectuellement dans l’aventure pour donner corps et vie à la redoutable somme livresque.
Le luxueux décor d’Alban Ho Van, fait office de hall d’immeubles et d’élégant salon de réception ouvert sur la nuit fraîche et pluvieuse qui tombe sur le bas des Champs-Elysées. Marcel, narrateur et double de l’auteur formidablement interprété par Stéphane Varupenne, prend place et entonne, guitare électrique en main, une chanson de Cat Stevens. Plus tard, divers disques vinyles finement choisis tournent sur une platine et alternent les boucles mélodiques de Philippe Glass et les accents pop de tubes des seventies. La haute société tant convoitée par le protagoniste s’avance, élancée, en ribambelle dansante. Elle défile sur un titre du groupe pop rock anglais The Zombies (l’ironie ne peut être involontaire !), puis se repait, satisfaite, de conversations à bâtons rompus, de mots d’esprits et de piques assassines, souvent très drôles. Rien n’échappe à l’oreille. Un preneur de son muni d’un micro sur perche capture les bribes d’échanges des orateurs mondains entre autres campés avec verve et irrévérence par Anne Kessler, Dominique Blanc, Florence Viala, Julie Sicard, Gilles David, Yoann Gasiorowski…
Comme souvent chez Honoré, c’est avant tout le sentiment qui prime. Et du côté de Guermantes, l’amour torture et désespère. Aussi bien l’idéaliste Marcel épris de l’inatteignable duchesse Oriane (Elsa Lepoivre, exquise en jet-setteuse follement aristocratique et d’une délectable médisance) que son ami Saint-Loup (toujours très sensible Sébastien Pouderoux), dévoré par la jalousie que lui inspire sa maîtresse la coquette Rachel (piquante Rebecca Marder). En baron de Charlus, Serge Bagdassarian fait un irrésistible clown triste envouté du lyrisme larmoyant verdien. Laurent Lafitte fait rire en Basin, Loïc Corbery émeut en Swann qui s’éteint à petit feu.
Ainsi, les personnages proustiens existent véritablement et paraissent comme des figures intimes, familières, ce qui les rend attachants. La troupe s’amuse, délire même, en rendant pleinement justice et grâce à la singularité de ces êtres excentriques. Elle sonde aussi leurs fêlures, leur souffrance. Rien n’est ignoré par Honoré de ce milieu qui charme et vampirise, ni l’attrait qu’il exerce, ni la fatuité outrecuidante qu’il arbore. Mais c’est l’empathie qu’on retiendra de cette improbable et audacieuse rencontre entre Proust et les comédiens Français.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
LE CÔTÉ DE GUERMANTES
d’après Marcel Proust – Christophe Honoré
adaptation et mise en scène
Christophe Honoré
scénographie
Alban Ho Van et Ariane Bromberger
costumes
Pascaline Chavanne
lumière
Dominique Bruguière
son
Pierre Routin
travail chorégraphique
Marlène Saldana
maquillage
Vesna Peborde
avec
Claude Mathieu, Anne Kessler, Éric Génovèse, Florence Viala, Elsa Lepoivre, Julie Sicard, Loïc Corbery, Serge
Bagdassarian, Gilles David, Stéphane Varupenne, Sébastien Pouderoux, Laurent Lafitte, Rebecca Marder, Dominique Blanc, Yoann Gasiorowski
et les comédiens de l’académie de la Comédie-Française
Aksel Carrez, Mickaël Pelissier, Camille Seitz, Nicolas Verdier
et preneur de son en scène
Romain Gonzalez
Première mise en scène de Christophe
Honoré à la Comédie-Française
Ce spectacle a fait l’objet en juillet d’une réalisation par Christophe Honoré pour France Télévisions.Durée : 2h30 sans entracte.
La Comédie-Française au THÉÂTRE MARIGNY
30 SEPT > 15 NOV 2020
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