L’Opéra national du Rhin programme, pour la première fois en France, Der Schatzgräber de Franz Schreker. Dans une mise en scène un peu monochrome de Christof Loy mais sous la direction musicale incisive de Marko Letonja, orchestre et solistes font éclore le lyrisme luxuriant de cette œuvre méconnue.
Après avoir révélé Der ferne Klang (Le Son lointain) en 2012, l’Opéra national du Rhin continue d’imposer le talent de Schreker, un compositeur qui connut un succès triomphal jusqu’à l’arrivée au pouvoir des nazis dont il subit les persécutions comme nombre d’artistes qualifiés de « dégénérés ». L’art et ses pouvoirs dangereusement ensorcelants sont au cœur du Chercheur de trésors dont le livret a été écrit par Schreker lui-même. Prenant pour cadre un Moyen-Âge flirtant avec l’univers déréalisé du conte de fées, il narre une fable étrangement fantaisiste de vol de bijoux royaux et de luth magique dans laquelle les protagonistes sont animés par un désir destructeur de possession et une inévitable aspiration à la perdition. Créée à Francfort au lendemain de la Première Guerre mondiale, la pièce fut l’une des plus jouées dans la République de Weimar. Sa musique somptueusement postromantique recèle de sortilèges enivrants, et notamment au troisième acte, point d’acmé au cours duquel s’épanouit un long duo nocturne aux accents tristaniens entre Els et Elis, deux héros sublimés par l’amour et l’idéalisme.
Toujours très conséquent chez Schreker, l’orchestre se fait aussi bien rêveur que ravageur sous le contrôle du chef Marko Letonja qui s’attache à bien mettre en valeur la sensibilité et l’expressivité théâtrales d’une écriture musicale déchainée en explorant ses climats denses et abruptement changeants, entre violence et volupté. La distribution qui réunit des habitués aux lourds rôles straussiens et wagnériens, mérite bien des éloges tant les chanteurs, eux aussi pleinement investis en faveur de l’intensité dramatique de l’ouvrage, se montrent à la hauteur de l’exigence des rôles vocalement périlleux.
Combinée à un tempérament incendiaire, la voix pleine et puissante de Helena Juntunen, offre un grain sensuel et des aigus d’abord un peu trop acérés puis plus joliment modulés dans la magnifique berceuse sur laquelle s’ouvre la seconde partie. Une même ardeur habite son partenaire, le ténor Thomas Blondelle, qui campe avec force et fièvre le ménestrel vagabond à la manière d’un artiste maudit. Beaucoup de rôles gravitent autour de ces deux personnages : le bouffon frêle et juvénile de Paul Schweinester finement dénué d’excès histrioniques, le roi de Derek Welton qui fait aussi bonne impression que le Bailli plein d’autorité éruptive de Thomas Johannes Mayer.
Entre les murs d’une salle à manger dont le marbre noir préfigure l’abîme dans lequel s’enfoncent les convives d’une réception aussi pompeuse que décadente, l’érotisme latent d’une orgie sagement chorégraphiée donne un peu de piquant à la monotonie globale d’une mise en scène qui fait se conjuguer avec habileté froideur mortifère et charnelle passion.
Christophe Candoni – www.sceneweb.f
Le Chercheur de trésors de Franz Schreker
Direction musicale
Marko LetonjaMise en scène
Christof LoyDécors
Johannes LeiackerCostumes
Barbara DrosihnLumières
Olaf Winter
Chœur de l’Opéra national du Rhin, Orchestre philharmonique de StrasbourgLes Artistes
Elis
Thomas Blondelle
Els
Helena Juntunen
Le Bouffon
Paul Schweinester
Le Roi
Derek Welton
La Reine
Doke Pauwels
Le Chancelier
Damian Arnold
Le Comte, le Héraut
Damien Gastl
Le Bailli
Wieland Satter
Le Gentilhomme
James Newby
L’Écrivain
Glen Cunningham
L’Aubergiste
Per Bach Nissen
Albi
Tobias HächlerOpéra national du Rhin
Strasbourg
Opéra
du 28 octobre au 8 novembre 2022Mulhouse
La Filature
du 27 novembre au 29 novembre 2022
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