Créé en 2003 par Lars Norén, le spectacle mis en scène par Christian Benedetti dans son Théâtre-Studio à Alfortville s’immisce dans un foyer rongé par le poison de la guerre.
C’est une scène de vie assez banale. Une mère (Stéphane Caillard) demandant à sa fille de se laver, peinant à la convaincre, puis faisant le constat des années qui ont filé. « Qu’est-ce que vous êtes devenues grandes. »Il faut dire que la guerre est passée par là, suspendant le temps avant que chacun ne reprenne subitement son souffle une fois le conflit terminé. Dans cette famille de trois personnes, un membre manque à l’appel : le père, disparu. Est-il vivant ? Est-il mort ? Nul ne le sait. Les trois femmes préfèrent ne pas y penser. La petite dernière (Alix Riemer) l’imagine vivant. La mère et la fille ainée (Manon Clavel, brillante) ont presque fait leur deuil, ayant appris à vivre seules. Un jour, une silhouette se dresse devant la maison. Vêtu d’un grand manteau élimé, un homme se tient debout. Le père (Marc Lamigeon), parti depuis deux ans, es²t revenu, transformé. L’accueil est glacial. Le silence assourdissant. Sa femme finit par lâcher un « non », à voix basse.
Avec ce spectacle créé en 2003 et actuellement joué au Théâtre-studio d’Alfortville (Val-de-Marne), le dramaturge et metteur en scène suédois Lars Norén – disparu en 2021 des suites du Covid-19 – s’immisce dans les replis de la cellule familiale, portant sur scène le déchirement d’un foyer rongé par le poison de la guerre. Ses effets toxiques ne se font pas tous sentir au même moment. D’emblée, le dialogue peine à se nouer entre un père, réduit au rang de quasi-inconnu et trois femmes habituées à une vie sans lui. A mesure que l’intrigue progresse, la violence gagne du terrain, délitant peu à peu leur relation.
Stéphane Caillard, Alix Riemer et Manon Clavel forment un trio remarquable, affichant une puissance de jeu captivante. Marc Lamigeon, lui, paraît plus en retrait. Il n’en demeure pas moins crédible dans le rôle de ce père brisé par la guerre. Comme écrin à ses comédiens, Christian Benedetti (directeur du Théâtre-studio d’Alfortville depuis 1997) propose une mise en scène sobre, dépourvue d’artifices. Le décor est réduit à l’essentiel : deux lits posés au sol, un encadrement de porte, une table, quelques chaises. Et de la poussière recouvrant la moitié du plateau. Les personnages évoluent dans cet environnement austère au sein duquel l’amour semble s’être envolé.
A son retour, le père s’attend à retrouver sa vie d’avant. Celle où il était un chef de famille respecté et un mari aimé. Remarquant le rouge à lèvre de Beenina, sa fille aînée, il s’empresse de la recadrer violemment : « mes filles ne doivent pas ressembler à des putes. » Hélas, la vision qu’il a de sa famille appartient au passé. La guerre lui a légué une cicatrice invisible : la cécité. Plongé dans le noir, il patauge au sein de cette famille devenue indépendante. Il trébuche contre une table ou une chaise, s’effondre parfois au sol, couvrant son manteau de crasse. Ses mains forment ses seuls repères. Il doit toucher pour voir. Mais la proximité est trop forte pour sa famille. Sa femme et ses filles le fuient, se tiennent à distance pour l’éviter. Le père, lui, pense pouvoir les posséder.
Durant l’heure quarante-cinq de la pièce, un secret rode autour de cette famille. Pendant son absence, le père a cédé, malgré lui, sa place à un autre. Son frère, Ivan (Jean-Philippe Ricci), a échappé aux combats et s’est réfugié dans ce foyer. Il s’assoit à table sans que son frère ne le remarque, échange des sourires complices avec sa femme et ses filles. Le père semble être de trop dans cette maison où personne ne veut de lui. Grâce à la lumière, Christian Benedetti accroit la tension entre les personnages. Chaque scène est isolée par un nuit/jour marquant la transition d’un tableau à l’autre. Le déchirement progresse. Et ainsi l’infamie. Survivant de l’horreur, rejeté par les siens, le père franchit la frontière de l’humanité contre sa femme et ses filles. Lars Norén nous place ainsi dans le rôle de témoin et de complice. Que faire face à un être n’ayant plus aucune notion du mal ? Que faire lorsque l’horreur gagne aussi le foyer ? Que faire lorsque l’amour semble avoir perdu et le mal triomphé ? Lars Norén et Christian Benedetti soulèvent des questionnements sans offrir de réponses arrêtées. Mais plongent assurément les spectateurs dans un climat de violence suffoquant, dans lequel cette Guerre continue longtemps après de nous hanter.
Kilian Orain – www.sceneweb.fr
Guerre
Texte de Lars Norén
mis en scène par Christian Benedetti
traduction
Katrin Ahlgren et René Zahnd © l’Arche édition
Assistante à la mise en scène : Brigitte Barilley
Avec
A : Stéphane Caillard
B : Manon Clavel
C : Alix Riemer
D: Marc Lamigeon
E : Jean-Philippe RicciRégie générale : Adrien Carbonne – Agathe Pascal
Le Théâtre-Studio / Cie Christian Benedetti est subventionné par
DRAC Ile de France – Région Ile de France –
Département du Val de Marne –
Ville d’Alfortville
Partenaires Télérama sortir, La TerrasseDurée 1h45
Théâtre Studio d’Alfortville
Du 14 mars au 8 avril 2023
puis du 18 au 29 avril 2023, du mardi au samedi à 20h30
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