Accompagnée du musicien multi-instrumentiste Nicolas Cloche et mise en scène par Nelson-Rafaell Madel, la chanteuse, comédienne et musicienne Chloé Lacan nous raconte dans J’aurais aimé savoir ce que ça fait d’être libre comment sa rencontre avec Nina Simone l’a bouleversée, à l’adolescence. Entre chant et théâtre, elle touche subtilement à cet inconnu qui met l’art au centre d’une vie.
Entre Chloé Lacan et Nina Simone, il y a des distances de partout. Sur le plan de l’époque et de la géographie, bien sûr. Au niveau du caractère, de la tessiture de la voix, de la couleur de peau… Et pourtant, lorsque pour la première fois, Chloé entend Sinnerman, quelque chose de l’artiste noire américaine résonne en elle. Elle est alors une enfant, et fait tranquillement les courses au supermarché avec ses parents. Dans le récit qu’elle fait de cet événement au début de son spectacle J’aurais aimé savoir ce que ça fait d’être libre, Chloé Lacan se replonge dans son passé pour en ramener l’image d’une roche, et la sensation d’une gifle. Elle y exhume aussi une impression ambigüe : un sentiment d’étrangeté radicale mêlé à une grande familiarité, qui cohabitent également dans sa pièce, où elle déploie tour à tour des morceaux de sa vie et de celle de Nina Simone. Ou du moins telle qu’elle se l’imagine, à partir de ses souvenirs d’enfance et de ses lectures d’adulte.
Entre le récit autobiographique et le portrait subjectif, J’aurais aimé savoir ce que ça fait d’être libre est l’opposé d’un biopic. Il offre une approche de Nina Simone toute autre que Le Silence et la Peur récemment créé, où David Geselson développe en parallèle l’histoire de la chanteuse et celle des États-Unis. Hormis quelques informations biographiques, et l’admiration d’une artiste pour une autre, peu de choses sont certaines dans la pièce de Chloé Lacan, et c’est là tout son charme. En s’autorisant, à imaginer la jeunesse de l’artiste et militante contre la discrimination raciale aux États-Unis, Chloé et son complice de longue date Nicolas Cloche, musicien multi-instrumentiste, composent une partition très personnelle. Ils font preuve de la liberté indispensable pour aborder une figure telle que Nina Simone, dont la révolte et la musique sont aussi inséparables que Chloé Lacan et son accordéon.
Posé en fond de scène aux côtés de micros sur pied, l’instrument fétiche de la musicienne ne tarde d’ailleurs pas à rejoindre les bras de sa propriétaire. Car en évoquant son rapport à Nina Simone depuis l’enfance jusqu’à son entrée dans l’âge adulte, c’est aussi la naissance de sa propre personnalité artistique qu’aborde Chloé Lacan. Sans jamais chercher à se mesurer à la grande Nina dont la colère, dit-elle, a fait écho à celle qu’elle a longtemps étouffée, la chanteuse passe avec son complice par tous les équilibres possibles entre théâtre et musique. Face à l’impossibilité d’incarner leur sujet central, ils s’amusent à faire de leur point d’achoppement le cœur de leur spectacle, avec un humour toujours subtil, jamais gratuit. En soulignant le côté dérisoire de toute chanson, de toute pièce de théâtre face aux violences du monde, ils en montrent aussi la force. Ils disent l’exigence d’une justice et d’une harmonie peut-être inatteignable que portent certains grands artistes.
On retrouve dans J’aurais aimé savoir ce que ça fait d’être libre la créolisation à l’œuvre dans les créations de Nelson-Rafaell Madell, qui accompagne Chloé Lacan et Nicolas Cloche à la mise en scène. Très sensible ces temps-ci – elle était au cœur de l’argumentaire de David Geselson –, la question de l’appropriation culturelle ne se pose ici à aucun moment. Par un jeu de subtiles correspondances et de décalages, le récit musical permet la rencontre réjouissante entre deux jeunes filles éloignées dans le temps, dans l’espace et la culture. Il célèbre leur dialogue imaginaire, avec joie.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
J’AURAIS AIMÉ SAVOIR CE QUE CA FAIT D’ÊTRE LIBRE
Textes Chloé Lacan
Mise en scène Nelson-Rafaell MadelMusiques Nina Simone, Jean Sebastien Bach, Chloé Lacan, Nicolas Cloche, etc
Avec Chloé Lacan (chant, accordéon, ukulélé et arrangements) et Nicolas Cloche (chant, piano, batterie, ukulélé et arrangements)Création lumières et scénographie Lucie Joliot
Création son Anne Laurin
Régie lumière Thomas Miljevic
Régie son Anne Laurin
Production La Familia
Diffusion Yohann Feignoux / Bluebird Booking
Soutiens Le Train Théâtre – Portes-lès-Valence, Quai des Arts – Pornichet, Centre Culturel André
Malraux – Hazebrouck, Le Bellovidère – Beauvoir, Le Théâtre des Sources – Fontenay aux Roses
Avec le soutien de l’ADAMI, de la SPEDIDAM et du CNMDurée: 1h15
Théâtre de Belleville
Du lundi 31 août au mercredi 2 septembre 2020
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