Au Théâtre du Rond-Point, le metteur en scène s’empare de la pièce de la dramaturge britannique Caryl Churchill, où un quatuor de vieilles voisines retisse, le temps d’un après-midi d’été, les fils d’un passé, d’un présent et d’un avenir pour le moins inquiétants.
Que se disent les femmes d’un âge respectable lorsqu’elles se rejoignent à l’heure du thé ? Lena, Sally et Vi ont pris l’habitude de se réunir dans le jardin de l’une d’elles pour échanger sur leurs vies, le temps qui passe, ou qui ne passe plus. Un jour, Mrs. Jarrett, nouvelle dans le quartier, décide de sauter le pas. « Je marche dans la rue et il y a une porte entr’ouverte dans la palissade et derrière, trois femmes que j’ai déjà vues… alors j’entre. » Visiblement timide, elle s’intègre très progressivement au groupe, s’immisce gentiment dans les conversations et tente d’ajouter son grain de sel au fil de discussions qui portent, en premier lieu, sur les petits-enfants, les programmes télévisés, l’humour décapant ou la religion.
Sauf, qu’à mesure que les langues se délient, les fils du temps se tissent. Les anecdotes cèdent progressivement la place à des propos plus graves. Ces quatre femmes prennent alors de l’épaisseur, celle de l’existence. D’une, on apprend, au détour d’une phrase, qu’elle a tué son mari « en situation de légitime défense », d’une autre qu’elle est dépressive au dernier degré et n’ose même plus aller chez Marks & Spencer. Parmi elles, Mrs. Jarrett se démarque nettement. Au long d’élans prophétiques, proférés en aparté, elle décrit un monde en proie à l’effondrement, où l’apocalypse serait en marche, où du ciel tomberait des animaux, où la société périclitante, gangrenée par le capitalisme à tous crins, dévorerait les hommes.
Assemblé, le puzzle construit par la dramaturge britannique Caryl Churchill a quelque chose d’étrange et de vertigineux à la fois. Étrange dans sa forme, celle d’une causerie entre vieilles dames qui livrent leurs avis sur le monde tel qu’il ne va plus, et s’épanchent sur leurs petites et grandes misères pour étancher la solitude qu’elles ressentent au fond d’elles-mêmes. Vertigineux dans son discours, capable de mêler les temporalités, de faire comprendre sans expliciter, de suggérer l’imminence des tourments à venir. Le tout en un précipité théâtral de moins d’une heure.
Pour incarner ce quatuor de Parques contemporaines, Marc Paquien a convoqué une troupe de comédiennes de choix, composée de Charlotte Clamens, Danièle Lebrun, Geneviève Mnich et Dominique Valadié. Toutes, à leur manière, donnent une profondeur aux personnages qu’elles endossent et manient, à la fois, leur connivence et leur part de mystère. Quand Danièle Lebrun et Geneviève Mnich la jouent façon Minute vieille d’Arte, Charlotte Clamens et Dominique Valadié optent pour une certaine gravité. Habitué aux dramaturges retors tels Martin Crimp, Samuel Beckett ou Jon Fosse, Marc Paquien fait pleinement confiance à leur talent et opte pour une mise en scène légère, où les lumières d’Alain Paradis deviennent une clef de lecture essentielle. Par un simple halo qui les coupe du reste du groupe, ces femmes se retrouvent, tour à tour, isolées quand leurs mots se font trop intenses. Comme si, à trop manier les temps, à trop ressasser les souvenirs et à remuer les prophéties, elles risquaient de bouleverser un présent dont le cours reste, bon an, mal an, le plus rassurant.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Du ciel tombaient des animaux
Texte Caryl Churchill
Traduction Elisabeth Angel-Perez
Mise en scène Marc Paquien
Assistante à la mise en scène Julie Pouillon
Avec Charlotte Clamens, Danièle Lebrun (de la Comédie-Française), Geneviève Mnich, Dominique Valadié
Décors Emmanuel Clolus
Lumières Alain Paradis
Costumes Claire Risterucci
Son Xavier Jacquot assisté de Samuel Chabert
Maquillages Nathy Polak
Chant Anne FischerProduction déléguée Théâtre Montansier – Versailles
Coproduction Théâtre de Nîmes Scène conventionnée, Les Célestins – Théâtre de Lyon, Comédie de Picardie, Compagnie Ithopios
Coréalisation Théâtre du Rond Point, avec la participation artistique de l’ENSATT.L’Arche est éditeur et agent théâtral du texte représenté.
Durée : 55 minutes
Théâtre du Rond-Point, Paris
du 8 janvier au 2 février 2020
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