Plaidoyer pour le suicide assisté que la France refuse et que la Suisse propose, cette adaptation du documentaire de Fernand Melgar entrecroise la douleur des patients avec le quotidien tragi-comique des aidants. Déconcertantes et souvent drôles, quoique parfois trop brèves, les situations mises en scène par Charles Templon sont autant d’embryons possibles d’autres spectacles.
1h15 pour déployer Exit. Le temps est court et calqué sur le documentaire dont la pièce est adaptée, Exit, le droit de mourir de Fernand Melgar, sorti en 2005, primé dans de nombreux festivals – Eurodok à Oslo, le FIFF à Namur… – et fruit de deux ans de tournage et de très multiples rushes.
Domiciliée à Lausanne, Michelle Sicard est résolue à mourir. Pas question de traîner dans une maison de retraite, que le personnel la « fasse belle » en attendant la visite de Patapouf le clown. Alors, selon le droit suisse, elle est autorisée à choisir le jour de sa fin, et les personnes qu’elle souhaite convier lorsque lui sera remise « une potion » létale qu’elle s’administrera elle-même – il n’est pas question ici d’euthanasie comme en Belgique, mais bien de suicide assisté. Les apartés purement informatifs ne sont pas nombreux dans cette création, mais il est toutefois rappelé à quel point la France est en retard en la matière avec ses « lois faites par des vieux cons grincheux » comme le balance un personnage furax. Celle sur la fin de vie était en première lecture à l’Assemblée nationale avant d’être balayée par la dissolution. Et le médecin-écrivain Christian Lehmann rappelait, le 8 juin dernier, dans Libération à quel point le « perpétuel élargissement » du texte pouvait s’avérer dangereux et accentuer un « validisme triomphant ».
Le validisme n’est pas directement questionné ici, mais il apparaît en filigrane des situations proposées : un malade atteint de sclérose en plaques peut entrer en contact avec l’équipe d’aidants d’Exit, il est « éligible » au suicide assisté, mais celui que la dépression asphyxie depuis une décennie doit, au terme de l’entretien préalable, se contenter d’une fin de non-recevoir. Avec un humour particulièrement travaillé et décalé, la pièce écrite par Karine Dubernet et Benjamin Gauthier montre que les membres bénévoles de cette association, aussi concernés et attentionnés soient-ils, ne sont pas transformés par leur fonction temporaire. Ils s’insurgent, marquent leur différence avec un médecin parfois hautain, et laissent échapper des phrases anodines qui deviennent, dans ce contexte, incongrues, comme ce « au plaisir » balancé à un prétendant au suicide assisté à la fin d’une conversation téléphonique ou le report avec simplicité d’un rendez-vous alors qu’il est crucial pour l’intéressé – qui l’avait déjà lui-même reporté plusieurs fois, alors… Ce qui pourrait être inconvenant ne l’est pas parce que chacun se moque de lui-même et du cadre dans lequel il s’inscrit : celui d’une Suisse de carte postale représentée dans une magnifique fresque dessinée au stylo quatre couleurs. En (grand) fond de scène, la toile s’enroule sur elle-même et dévoile deux autres vues, des zooms : un lac, des montagnes.
Cette joliesse et cet humour permettent que puisse être dites (et reçues) sans tergiverser la violence de la douleur des malades, leurs peurs, mais aussi la liste des moyens possibles pour mettre fin à ses jours : tête dans un sac plastique, pendaison, immolation par le feu – « mais au prix de l’essence » – ou se trancher les veines – mais, attention, l’agonie est longue nous prévient Manu. C’est Marie-Sohna Condé, déjà bluffante dans Privés de feuilles les arbres ne bruissent pas sous la direction de Pascale Henry, qui interprète cette femme. Elle est entourée d’une solide équipe composée de Philippe Awat, Nanou Garcia, Benjamin Gauthier et Lucie Gallo – dont le rôle sera repris en tournée par Suzanne de Baecque. Toutes et tous se mettent au service de personnages qui ne sont souvent volontairement qu’esquissés, et qu’on aimerait voir pris un par un dans d’autres travaux.
Ce travail procède par touches à l’instar ce qu’avait fait sous une autre forme, mais avec le même sujet, Stefan Kaegi des Rimini Protokoll dans Nachlass, pièce sans acteur, où, dans différents espaces clos, les spectateurs pouvaient écouter les témoignages de personnes décédées à propos de leur mort future, au beau milieu de leurs effets personnels. Le metteur en scène et scénographe Charles Templon a quant à lui opté pour des objets simples – tables et chaises roulantes –, facilement manipulables pour servir le plus efficacement possible la parole et l’expérience des individus. Elles constituent la véritable ossature de ce spectacle qui se poursuit une fois la salle quittée par la lecture d’une lettre à « ne lire qu’à l’issue de la représentation » remise à chaque spectateur et spectatrice.
Nadja Pobel – www.sceneweb.fr
Exit
D’après le documentaire Exit, le droit de mourir de Fernand Melgar
Texte et adaptation Benjamin Gauthier, Karine Dubernet
Mise en scène, scénographie et costumes Charles Templon
Avec Philippe Awat, Marie-Sohna Condé, Lucie Gallo (ou Suzanne De Baecque), Nanou Garcia, Benjamin Gauthier
Collaboration aux costumes Alma Bousquet
Décoratrice Caroline Decroix, Camille Perrotin
Création lumière Loris Gemignani
Création vidéo et régie générale Thomas Guiral
Collaboration artistique à la mise en scène Alexandre Paradis
Créatrice son Camille VittéProduction Compagnie Année 86
Coproduction La Ferme du Buisson scène nationale ; Matrioshka Productions ; Walta Films
Soutiens Théâtre Paris-Villette ; Théâtre Sénart scène nationale ; le TMF de Fontainebleau ; La Villette ; l’ADMD
Avec l’aide à la création de l’ADAMI Déclencheur Théâtre et du Département de la Seine-et-MarneDurée : 1h15
Vu en juillet 2024 au Théâtre du Train Bleu dans le cadre du Festival Off d’Avignon
Théâtre 14, Paris
du 5 au 23 novembreTMF, Théâtre de Fontainebleau
le 27 mars 2025La Ferme du Buisson, Scène nationale, Noisiel
le 5 avril
En lisant le résumé il me. Tarde de voir la pièce _ bravo pour ce sujet d’actualité