Alexandra Badea présente deux formes scéniques de sa pièce Celle qui regarde le monde, une fable humaniste qui interroge le sort des réfugiés et le sens de l’amitié.
Une lycéenne de bonne famille rencontre un jeune réfugié. Il a dû quitter son pays en guerre, galérer pour venir seul en France, se confronter au business des passeurs et aux conditions atroces de traversées. Enfin, il se voit refuser sa demande de droit d’asile parce qu’il paraît plus grand que son âge et qu’il ne peut justifier son statut de mineur isolé. Alors il vit clandestinement, cherchant à échapper aux contrôles policiers et à l’éventuelle expulsion qui en découlerait. Il voudrait s’enfuir. Elle lui vient en aide pour passer la frontière vers l’Angleterre. Illégal, cet acte la conduit aussitôt dans le bureau d’un inspecteur de police certes bienveillant mais qui ne peut qu’appliquer les lois arbitraires qui considèrent comme un délit son geste de solidarité spontanée.
Il s’appelle Elis et elle, Dea. Il lui révèle d’ailleurs la belle signification de son prénom : celle qui regarde le monde. Le découvrir, l’habiter, c’est, pour eux, chercher à le rendre plus humain, réclamer plus de justice et de liberté. C’est le cœur même du propos que défend l’autrice et metteuse en scène Alexandra Badea, avec un regard toujours plus attentif et sensible aux problématiques à la fois politiques, sociales et intimes qui ne trouvent pas de réponses acceptables dans la société actuelle.
Sa conséquente trilogie intitulée Points de non-retour donnait déjà à voir et à entendre les récits peu glorieux appartenant pourtant à l’histoire récente de la France. Son premier volet relatait un épisode occulté de l’histoire coloniale, le massacre de Thiaroye en 1944 à l’occasion duquel l’armée française a ouvert le feu sur des soldats sénégalais. La deuxième partie revenait sur une autre date, celle du 17 octobre 1961, où des Algériens qui manifestaient pacifiquement à Paris ont été jetés dans la Seine. Le dernier opus s’intéressait à de jeunes Réunionnais déracinés et plus généralement à des enfants d’immigrés nord-africains, enfants d’ouvriers ou mineurs, retrouvés abandonnés dans des foyers et soumis à une violente précarité entre 1963 et 1982.
Toujours bien ancrée dans la réalité de notre époque, Alexandra Badea écrit et met en scène une nouvelle pièce qui semble s’inscrire dans le prolongement de cet ambitieux travail, avec notamment un même recours au procédé du portrait scénique et filmique. Mais Celle qui regarde le monde profite d’un format plus bref, beaucoup moins éclaté et diffracté, un format qui permet de vraiment rencontrer et fouiller les gouffres intérieurs des personnages incarnés, de s’attacher à eux et d’être touché par eux.
Silhouettes adolescentes, présences irradiantes, Lula Paris et Alexis Tieno occupent un plateau qui prend les atours étonnamment déréalisés d’une forêt enchantée, lieu initiatique par excellence, qui dans les contes se fait l’espace de tous les apprentissages et de tous les dangers. Sur un tapis de gazon vert et de feuilles mortes, s’épanouit le jeu plein de fraîcheur et d’engagement des deux acteurs forts et fragiles, dont les corps se coursent, se frôlent, s’étreignent, s’abritent, tandis que l’interrogatoire subtilement mené par Stéphane Facco, est quant à lui uniquement montré sur un écran.
Animée d’un bel idéalisme, la rencontre à la fois singulière et déterminante que narre la pièce invite ses héros comme les spectateurs à se questionner et à se décentrer, à reconsidérer la place que chacun occupe dans le monde, à aller vers l’inconnu, à rencontrer et connaître l’autre, à défier s’il le faut l’autorité, autant de thèmes qui sauront nécessairement bousculer le jeune public auquel Celle qui regarde le monde est principalement destiné.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Celle qui regarde le monde
Texte et mise en scène Alexandra Badea
Éditions de L’Arche
Avec Alexis Tieno, Lula Paris, Stéphane Facco
Création sonore Rémi Billardonproduction Fédéra Hélix avec Mascaret production coproduction Théâtre du Beauvaisis, Scène nationale de Beauvais, Gallia Théâtre de Saintes scène conventionnée, La Comédie de Béthune Centre Dramatique National Hauts-de-France, Les plateaux sauvages (Paris). Avec le soutien de la DRAC Hauts-de-France-ministère de la culture et de la communication et de la Région Hauts-de-France.
Avignon Off 2023
11 • Avignon
7 au 26 juillet 2023 à 11h25
relâches les 13 et 20
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