Au Théâtre des Célestins, Cécile Auxire-Marmouget ne parvient pas à donner suffisamment de relief à la pièce d’Ivan Viripaev.
Cuisine toute équipée, 5 heures du matin. Entre une machine à laver bruyante, un îlot pimpant et des placards (trop) bien rangés, Barbara et Werner s’écharpent sur l’avenir de leur couple. Après sept ans de vie commune, l’heure des comptes a sonné, ou plutôt l’heure de la dernière tentative avant le désert, avant cette séparation que l’une comme l’autre ont encore envie d’éviter. Pour colmater les brèches, lui mise sur de nouveaux projets, sur ce crédit qu’ils auront bientôt fini de payer, sur cet enfant qu’il pourrait, enfin, se décider à avoir ; elle, plus dubitative, mais non moins décidée à essayer, tient, avant toute chose, à ce qu’il la regarde à nouveau, à ce qu’il la considère, à ce qu’il fasse un pas vers elle pour franchir cette « ligne solaire » qui s’est installée entre eux et menace, désormais, de les fracturer. Invisible, cette frontière n’en a pas moins des conséquences très concrètes. A la manière d’un filtre, elle paraît brouiller leur conversation. Si Barbara et Werner se parlent, ils ne semblent plus capables de s’entendre, de se comprendre, comme si leurs paroles étaient réglées sur des longueurs d’onde différentes. Alors, malgré leur lutte à contre-courant, les deux quadragénaires dérivent, inexorablement, chacun de leur côté.
A travers ce tandem, Ivan Viripaev, à qui Cécile Auxire-Marmouget s’attaque pour la première fois, tente, comme souvent, de disséquer, au scalpel, les affres et les tourments de ses contemporains. A mi-chemin entre le drame et la comédie, le dramaturge opère par glissements successifs et tente de couper dans le vif ces noeuds psychologiques qui pèsent lourd dans le quotidien des couples d’aujourd’hui, coincés entre les attendus sociétaux et leurs désirs profonds, les chemins pré-tracés et les bonnes voies à emprunter. Sans doute moins brillante que certaines de ses autres pièces – Illusions, Insoutenables longues étreintes, Les guêpes de l’été nous piquent encore en novembre… –, La Ligne solaire met toutefois le medium théâtral à l’épreuve – et dans une certaine mesure en position d’échec. Pour réduire la fracture, Viripaev opte non pas pour le réalisme le plus pur, mais pour la puissance de l’imaginaire qui, au cours d’une danse ou d’un jeu de rôle transgénérationnel, pourrait permettre à Barbara et Werner de se reconnecter pleinement, comme on retrouverait le sentier d’un eldorado qu’on croyait perdu.
Reste que, dans l’adaptation qu’elle en livre sur le plateau du Théâtre des Célestins, Cécile Auxire-Marmouget peine à profiter de ces savants décalages, y compris rythmiques, qui font tout le sel du théâtre du dramaturge russe. Tout se passe comme si, faute d’en avoir réellement trouvé la clef et d’en proposer une lecture singulière, la metteuse en scène se contentait de normaliser cette histoire de couple, jusqu’à la banaliser et la rendre un peu trop ordinaire. Dès lors, malgré l’engagement du duo qu’elle forme avec Olivier Werner, et l’astucieux travail scénographique qu’elle a co-construit avec Olivier Modol et Gabriel Burnod, il devient difficile de s’intéresser pleinement à ce tandem en crise, isolé dans un bocal dont il peine à sortir pour nous tendre un cruel miroir. Sans relief particulier, négligeant les silences et les non-dits, pourtant capitaux chez Viripaev, la proposition de Cécile Auxire-Marmouget s’enferme alors dans une certaine linéarité, loin des pleins et des déliés, des monts et des vallées propres aux tumultes amoureux.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
La Ligne solaire
Texte Ivan Viripaev
Mise en scène Cécile Auxire-Marmouget
Avec Cécile Auxire-Marmouget et Olivier Werner
Traduction française Tania Moguilevskaïa, Gilles Morel
Scénographie Cécile Auxire-Marmouget, Olivier Modol, Gabriel Burnod (Les Constructeurs)
Lumière Olivier Modol
Son Alain Lamarche
Assistanat à la mise en scène Rosalie Vaudaux
Collaborateur artistique Jean-Philippe Giraud
Stagiaire plateau Mathias LubacProduction Compagnie Gazoline
Coproduction Célestins, Théâtre de Lyon
Avec le soutien de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, du département de la Drôme et de la Spedidam
Pièce traduite avec le soutien de la Maison Antoine Vitez Centre international de la traduction théâtrale – Paris
Les traductions des textes d’Ivan Viripaev sont publiées aux éditions Les Solitaires Intermpestifs – BesançonDurée : 1h15
Les Célestins, Théâtre de Lyon
du 3 au 13 mars 2022
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