Dirigé par Nicolas Oton, Frédéric Borie se livre dans Casino Stendhal, créé au Printemps des Comédiens, à une traversée de la vie et de l’écriture du romancier. Un hommage dont la légèreté est intelligence, profondeur.
Nulle machine à sou, pas l’ombre d’un croupier dans Casino Stendhal. Mais du jeu, oui, porté par le comédien Frédéric Borie. Et des enjeux : ceux, existentiels et mémoriels, de La Vie de Henry Brulard. Née de la suggestion du metteur en scène Ariel Garcia-Valdès à Frédéric Borie, ce seul en scène créé lors du Printemps des Comédiens a l’évidence des plus belles rencontres. Orchestrée par Nicolas Oton, qui fut l’élève du même Ariel à l’Ensad de Montpellier puis son interprète, cette excursion en territoire stendhalien a la liberté, la fantaisie qu’il faut pour donner à voir ce que fut l’homme Stendhal. Ce que furent la folie, les petits et grands malheurs, les joies aussi, qui donnèrent lieu à l’un des plus grands monuments littéraires du XIXème siècle. Avec sa façon bien à lui d’appréhender la scène, le comédien d’aujourd’hui joue à la roulette russe avec l’écrivain d’hier. Cette approche légère le mène vers les profondeurs de Stendhal, vers sa manière de toujours remettre son identité en question, en jeu.
Pour entrer dans « l’effroyable quantité de Je et de Moi » qui se bousculent dans La Vie de Henry Brulard, Frédéric Borie opte non pas pour les mots, mais pour la musique. Cet art dont s’éprend Henri Bayle, futur Stendhal, lors d’une représentation de l’opéra-bouffe Le Mariage Secret du compositeur italien Cimarosa en mai 1800. Il vient alors tout juste de franchir les Alpes, et découvre l’Italie qui lui inspire sa « méthode pratique du bonheur », doublée d’une quête de vérité dont La Vie de Henry Brulard est l’un des résultats les plus aboutis, malgré ou peut-être grâce à son inachèvement. Lequel offre à Frédéric Borie une porte d’entrée royale vers une écriture traversée par des questionnements sur elle-même, sur ses mécanismes, qui en font une matière théâtrale passionnante. Mais voilà que, comme Stendhal lorsqu’il met à l’épreuve sa mémoire personnelle, nous digressons.
Revenons donc à la musique. Celle qui fait fredonner le comédien assis derrière une petite table, seul élément physique d’une scénographie dont l’essentiel est immatériel : la lumière de Georges Lavaudant, un autre grand complice d’Ariel Garcia-Valdès. Casino Stendhal est une symphonie de mots et de quelques sons interprétée par un soliste qui en plus de porter des bribes de l’œuvre de Stendhal raconte une histoire d’amitiés théâtrales anciennes, entre artistes de générations différentes. Le spectacle mis en scène par Nicolas Oton est donc à plusieurs titres une œuvre de transmission : entre les artistes qui l’ont conçu, entre Stendhal et Frédéric Borie, entre celui-ci et les spectateurs… Tout un « Bazar », synonyme en italien de « casino », dont on nous explique sur la feuille de salle qu’à Grenoble, « le cercle très noble, et bien connu de Stendhal, se nommait ‘’le casino’’ sous la restauration ».
Dans ce bazar, dans ce bordel où l’élégance naît de la trivialité, de la manière drôle et ludique dont l’acteur aborde son texte, on traverse la vie de Stendhal à la vitesse d’un jet de dés. Comme dans le livre dont s’empare Frédéric Borie, on part de l’année 1832, où un Stendhal âgé de cinquante ans entreprend de se plonger dans ses propres méandres. Sans transition, on remonte dans le temps, on arrive au moment où l’enfant Henri Bayle perd sa mère à qui il vouait une grande passion. Enfantin, espiègle autant que grave, sérieux, le comédien décrit ensuite la haine du futur écrivain pour son père et le milieu aristocratique dans lequel évolue celui-ci – d’où le choix d’un pseudonyme en titre de son livre autobiographique –, il dit son aversion pour la religion et son engouement pour les idées républicaines. Dans leur condensé de La Vie de Henry Brulard, Nicolas Oton, Frédéric Borie et leurs amis sont fidèles à la conception stendhalienne de la mémoire, dont la modernité est pour eux un terrain où tout est susceptible de faire jeu. À commencer par les petits riens, le quotidien.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Casino Stendhal
D’après Stendhal
Conception Frédéric Borie
Direction Nicolas OtonAvec : Frédéric Borie
Lumière : Georges Lavaudant
Administration : Carole Mir, Zinc Théâtre | Production en cours | Remerciements : Gilbert Rouvière, Compagnie Astrolabe, Compagnie In Situ et le Théâtre de la Baignoire.
Printemps des Comédiens 2021
Théâtre d’Ô – Studio Monnet
Du 18 au 20 juin 2021
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