Rocío Molina se révèle entre force et fragilité dans Calentamiento, où elle raconte en gestes et en mots sa pratique de l’art du flamenco. Dans une pièce composée d’une série de commencements, elle danse jusqu’à s’épuiser, sans jamais s’arrêter.
C’est une force de la nature et une pointure du flamenco. Rocío Molina, 41 ans, s’est imposée comme une référence de la scène contemporaine grâce à son style brut, ardent et libre. La chorégraphe, originaire de la province de Malaga en Espagne, qui affiche habituellement une solidité à toute épreuve, se montre plus vulnérable dans sa dernière pièce, Calentamiento (« échauffement » en espagnol), présentée en première française au Théâtre de Nîmes, où elle est artiste associée. À quatre pattes sur un tapis de sport ou tambourinant avec ses talons, Rocío Molina dévoile son rapport obsessionnel à la pratique du flamenco, entre extase et douleur, révélant le travail acharné qui se cache derrière sa danse virtuose. La complexité de cette danseuse jaillit dans ce spectacle de danse singulier, où la virtuosité croise le récit de soi.
Que deviennent les corps dansants après des dizaines d’années de pratique ? Si la fatigue, les douleurs et les blessures incitent parfois les danseurs à arrêter, en sont-ils capables ? Bien au chaud dans son ensemble de jogging, Rocío Molina fait des exercices de sport sur son tapis pendant que le public s’installe. La musique s’arrête. Elle retire une première couche de vêtements et se présente face à nous : « J’aimerais une pièce pour une danseuse tranquille », annonce-t-elle en espagnol, en répétant un exercice de « tabla de pies », frappant les pieds sur le sol, laissant le rythme du flamenco résonner dans ses muscles et s’emparer peu à peu de son corps. Elle ajoute : « On ne fait plus de pièce comme ça ». Regard altier, buste tenu bien droit, la flamenca ne lâche rien. Elle raconte toutefois sa fatigue, la douleur qui s’empare de ses jambes, de ses bras et de sa poitrine. « Je fais cet échauffement pour entrer en contact avec la douleur », explique-t-elle.
Ce solo – qui n’en est pas vraiment un, puisqu’il accueille cinq autres interprètes, José Manuel Ramos « Oruco » à la danse et à la batterie, ainsi qu’Ana Polanco, Ana Salazar, María del Tango et Gara Hernández au chant – nous fait traverser une série de commencements, où les échauffements du départ se transforment en délire, comme des jets de piles de chaises et un solo de batterie. Car Calentamiento sent bon la liberté. Il témoigne de l’émancipation d’une danseuse à la rigueur imparable, qui s’autorise ici à digresser, à s’aventurer dans le registre comique – une robe rouge qui lui tombe dessus du plafond, une cape lamée qui lui donne un air de magicienne –, à évoquer son obsession douloureuse, mais satisfaisante, du travail, ses angoisses liées à la fin de sa carrière de danseuse et, en filigrane, à la mort. « Je continue à recommencer pour ne jamais finir », lâche-t-elle. Et si la danse virtuose et explosive de cette reine du flamenco est encore une fois au rendez-vous, le texte intime qu’elle porte, dialogue intérieur qu’elle déverse en logorrhée, comme un chant sur ses pas de danse, la dépeint sous un jour plus humain.
Si toutes ces envolées et les ajouts d’éléments sur le plateau – les piles de chaises et une structure transparente – ne font pas toujours mouche, cassant parfois un peu la dynamique, l’audace de l’ensemble l’emporte. La scène se transforme en rave techno aux lueurs vertes sataniques, puis la chorégraphe reprend son échauffement, face à la scène, stoïque, quand les spectateurs quittent la salle. Rocío Molina dansera jusqu’au bout, même après la fin.
Belinda Mathieu – www.sceneweb.fr
Calentamiento
Direction et chorégraphie Rocio Molina
Co-direction et textes Pablo Messiez
Direction musicale Paco « Niño De Elche »
Avec Rocío Molina (danse), José Manuel Ramos « Oruco » (compas), Ana Polanco, Ana Salazar, María del Tango et Gara Hernández (chant)
Création lumières Carlos Marquerie
Espace scénique et audiovisuels Cabo San Roque
Espace sonore et technicien Son Javier Álvarez
Direction technique Carmen Mori
Technicien lumières Rafael Gomez
Régie plateau Maria Agar MartinezProduction Danza Molina
Coproduction et accueil en résidence Théâtre de Nîmes – Scène conventionnée d’intérêt national art et création – danse contemporaine
Coproduction Centro Danza Matadero CDM ; Festival de Danse – Cannes Côte d’Azur ; Chaillot Théâtre National de la Danse ; Bayonne – Scène nationale du Sud-Aquitain ; Théâtre d’Orleans - Scène nationale
En collaboration avec le Teatro Central de Séville et le Teatre Lliure de BarceloneDurée : 1h30
Vu en novembre 2025 au Théâtre de Nîmes
Teatre Lliure, Barcelone (Espagne)
du 19 au 29 mars
Teatro Central, Séville (Espagne)
les 10 et 11 avril
Teatro Cervantès, Malaga (Espagne)
le 15 avril
Scène nationale du Sud-Aquitain, dans le cadre du Festival Andalou de Saint-Jean-de-Luz
les 23 et 24 mai
Théâtre d’Orléans, Scène nationale
les 27 et 28 mai





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