Directeur artistique du Ballet de l’Opéra national du Rhin, Bruno Bouché signe une adaptation chorégraphiée délicatement mélancolique mais un brin survolée des Ailes du désir, le célèbre film de Wim Wenders.
Du haut du ciel, les anges veillent sur la ville de Berlin divisée et désolée. A travers leur regard, le spectateur est invité à contempler une humanité malheureuse et lui accorder sa bienveillante attention, sa profonde compassion. C’est tout le projet du chef-d’œuvre bouleversant que signait le réalisateur allemand Wim Wenders en 1987 dans son célèbre film Der Himmel über Berlin. Perchés à l’image au sommet des immeubles, des monuments, des statues, les anges prennent chair sur la scène de l’Opéra de Strasbourg comme dans la salle de spectacle où ils paraissent juchés sur les balcons de ses loges étagées. En cohorte au plateau, ils tournoient et se balancent, en longs pardessus ou en chemises blanches ouvertes dont l’étoffe légère suggère le mouvement de leurs ailes angéliques.
Du film, majoritairement en noir et blanc, Bruno Bouché a réalisé un ballet aux tonalités essentiellement gris-sombre. Son décor n’est jamais trop illustratif sauf peut-être lorsque s’ouvre le second acte sur les anges suspendus à des câbles en plein vol. Des blocs de béton de différents formats renvoient aux stèles du mémorial conçu par Eisenman qui occupe le centre de Mitte à côté de la porte de Brandebourg. Le film est avant tout « un film dans Berlin, sur Berlin » a déclaré Wenders. Il se présente comme une fable urbaine. Sa caméra y déambule au cœur des ruines et des vestiges de paysages fantomatiques. Bruno Bouché capte le pouls de la ville, frénétique et affairée le jour, licencieuse et dangereuse la nuit. Comme un clin d’œil aux Glass Pieces de Jerome Robbins, les incessants allers-retours d’une foule colorée sur les plages mélodiques et rythmiques pulsées et répétitives de Steve Reich rendent compte de l’ébullition urbaine comme de la fuite du temps. S’ensuit une voluptueuse immersion dans ce qui s’apparente à un quartier rouge au charme rock underground où un quatuor d’hommes vêtus de cuir s’attire et se désire. Au détour d’une course, un motard est inopinément retrouvé inerte sur le bitume. La mort rôde et séduit les plus vulnérables. Sous le visage criant d’impuissance d’un des anges, un jeune homme suicidaire se jette dans le vide.
Si les mots dans le film donnent accès à la vie intérieure des personnages, à leurs pensées, leurs doutes et leurs plaintes, ils sont évidemment absents dans le ballet. Les corps ont à charge de les exprimer au mieux. La trame narrative demeure parfaitement reconnaissable tout comme les personnages, Samaël et bien sûr Damiel, incarné à l’écran par Bruno Ganz, qui est soudain épris de Marion la jeune trapéziste ici représentée en danseuse de music-hall. L’univers circassien a étonnamment presque disparu. Même Peter Falk, guest star imprévue, est reconnaissable sur scène dans la courte scène d’essayage de chapeaux. Pour autant, on regrette que le ballet ne s’attarde pas suffisamment sur les personnages traités parfois de manière trop évasive. De fait, leurs intrigues ne trouvent pas vraiment l’occasion de s’installer et de se développer avec ce qu’il faut d’épaisseur et de complexité.
Dans les grands ensembles comme dans les passages plus intimistes, la troupe adopte un style ciselé, stylisé, toujours nuancé. La danse est remarquablement limpide, légère et vaporeuse au diapason d’un un jeu théâtral tout en finesse et en retenue. Il émane de la représentation une profonde mélancolie accentuée par la sélection de morceaux musicaux (Messiaen, Sibelius et Bach joué en direct au piano) d’une franche langueur. Wenders lui-même a déclaré avoir réalisé un film sur la douceur. Bruno Bouché lui est fidèle au risque d’une certaine monotonie. Il manque à sa transcription scénique un peu plus de souffle et de dynamique. La voix chaude et langoureuse d’Antony and the Johnsons enveloppe un final solaire qui extrait enfin le spectacle de la grisaille terne et tenace qui précédait.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Les Ailes du désir
Ballet en deux actes d’après le film de Wim Wenders Les Ailes du désir Der Himmel über Berlin, 1987
Chorégraphie
Bruno Bouché
Dramaturgie musicale
Bruno Bouché, Jamie Man
Musique
Antony and the Johnsons, John Adams, Jean-Sébastien Bach, Jamie Man, Olivier Messiaen, Einstürzende Neubauten, Steve Reich, Jean Sibelius
Dramaturgie
Christian Longchamp
Scénographie
Aurélie Maestre
Assistante scénographie
Clara Cohen
Costumes
Thibaut Welchlin
Lumières
David Debrinay
Vidéo
Etienne Guiol
Accompagnement artistique suspensions
Fabrice Guillot
CCN • Ballet de l’Opéra national du RhinDuré : 1h50 sans entracte
Strasbourg
Opéra
SA 30 Oct. 2021
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DI 31 Oct. 2021
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LU 15 Nov. 2021
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