La revanche d’une virago Bruegelienne

photo Kurt Van des Elst

Figure montante de la scène internationale, la flamande Lisaboa Houbrechts révèle son imaginaire singulièrement hybride et débridé, assez virtuose mais parfois abscons, dans la reprise d’un ancien spectacle inspiré du peintre Bruegel et de son personnage Margot la Folle.

C’est en artiste frustré et fatigué que Pieter Bruegel l’ancien, au crépuscule de sa vie, décide de détruire et faire disparaître certaines de ses toiles dont celle représentant la Dulle Giet. L’œuvre sera finalement sauvée des flammes. Si Bruegel donne son titre au spectacle dans lequel il est interprété par Andrew Van Ostade, le peintre n’en est certainement pas le protagoniste. Il s’éclipse même au profit de Margot la Folle dont on doit l’incarnation incendiaire à l’actrice Anne-Laure Vandeputte. Vêtue d’une cuirasse de guerrière et d’habits de sauvageonne, elle apparaît en chevauchant un à un les gradins puis occupe la scène en affichant une énergie et une détermination effrontées, enragées. Injuriée, caillassée par les villageoises, traitée de diablesse, de hommasse, cette femme du peuple va jusqu’à interpeller son créateur dont elle conteste le geste artistique et toute la société aux mœurs rances et étriquées pour pleinement revendiquer le fait d’exister. C’est tout l’intérêt de la pièce de Lisaboa Houbrechts qui prend parti pour cette héroïne controversée et cherche à la réhabiliter en lui faisant tenir un discours à la fois personnel et politique, valide pour les temps passés comme pour l’époque actuelle. C’est d’ailleurs à la lumière des sujets qui agitent la société contemporaine que Dulle Giet aborde les thèmes du genre et de l’identité. Elle interroge aussi l’art et l’artiste notamment dans le rapport qu’ils entretiennent à la morale et à l’autorité.

Sous des airs faussement bricolé – la scène s’apparente à un vaste atelier en chantier – , le spectacle met en tension le péché et la pureté, la grandeur et le trivial à travers des tableaux à multiples facettes où surgissent un prosaïsme totalement assumé mais aussi une certaine splendeur. L’aventureuse metteuse en scène qui a été une proche collaboratrice d’Alain Platel ou d’Ivo van Hove, ne donne pas l’impression de vouloir faire un « beau » spectacle mais plutôt de privilégier le foisonnement et le désordre, raison pour laquelle elle convoque et fait se télescoper tous les langages et les disciplines possibles qui animer un univers bigarré où se mêlent le théâtre, les arts plastiques, la musique et le chant. Des ébauches et des estampes de Bruegel sont reproduits sur des panneaux transportables. Les interprètes de l’ensemble polyphonique Harmonia Sacra chantent d’inspirants madrigaux moyenâgeux en dialogue avec les compositions du joueur de kamancheh Mostafa Taleb.

Audacieux dans sa forme comme dans son ton, l’un et l’autre fortement composite et confus, le spectacle comporte bien des fulgurances mais aussi bon nombre d’outrances. Ses longueurs, ses lourdeurs empêchent d’être pleinement convaincu par le geste pourtant absolument libre et indiscipliné, fortement engagé, pas du tout formaté, voulant tout embraser, de Lisaboa Houbrechts. Prometteuse, la jeune artiste sera par deux fois parisienne la saison prochaine, d’abord avec une nouvelle création programmée à la MC93 avant de montrer sa version de Médée à la Comédie-Française.

Christophe Candoni – www.sceneweb.fr

texte et direction
LISABOA HOUBRECHTS
avec
RAND ABOU FAKHERLOUISE BERGEZROMY LOUISE LAUWERSLOBKE LEIRENSANDREW VAN OSTADEANNE-LAURE VANDEPUTTE
assistance à la mise-en-scène, dramaturgie
PAUWEL HERTMANS
musique
MOSTAFA TALEB (KAMANCHEH, COMPOSITIE)HARMONIA SACRA: JÉRÔME BERTIER (ORGEL, KLAVECIMBEL, IMPROVISATIE)FLORENT BAFFI (ZANG)CAPUCINE MEENS (ZANG)STÉPHANIE RÉVILLION (ZANG)
scénographie
OSCAR VAN DER PUT
costumes
KASIA MIELCZAREK
concept lumière
OSCAR VAN DER PUTCARLO BOURGUIGNONDIEDERIK SUYKENS
gestion de la production
CELINE VAN DER POEL
gestion technique et productionelle, lumière
DIEDERIK SUYKENS
son
PAUL VAN CAUDENBERG
production
TONEELHUISKUIPERSKAAI
développé à
CO-LABO
coproduction
LE PHÉNIX, SCÈNE NATIONALE DE VALENCIENNESNEEDCOMPANYLA VILLETTE, PARIS
avec nos remerciements à
KMSKALLS PALEIS RUIMTE VOOR ACTUELE KUNST
avec le soutien de
TAX SHELTER MAATREGEL V/D BELGISCHE FEDERALE OVERHEIDCASA KAFKA PICTURES TAX SHELTER EMPOWERED BY BELFIUSCULTURELE SAMENWERKING VLAAMSE GEMEENSCHAP EN REGIO HAUTS-DE-FRANCE

Durée : 2h

La Villette
Du 23 au 25 juin 2022