Avec Brame, Fanny Soriano prolonge avec puissance et délicatesse une recherche singulière où l’humain se mêle à la Nature pour le triomphe du Beau. Et de l’Amour.
Quand nous la rencontrions en 2021, dans le cadre d’une BIAC à dimension très réduite du fait du confinement, Fanny Soriano nous disait l’importance du répertoire pour elle et sa compagnie Libertivore. Une notion capitale aussi pour les directeurs du festival et du Pôle National Cirque Archaos, Raquel Rache de Andrade, Guy Carrara et Simon Carrara – le seul trio à la tête d’un Pôle National Cirque –, qui aux côtés de nouvelles pièces en présentent toujours de plus anciennes. Cette rencontre à l’endroit du répertoire rend toute naturelle l’invitation faite par les directeurs de la BIAC à Fanny Soriano à venir avec toutes les créations de sa compagnie. D’autant plus que leur relation à cette artiste illustre avec une force particulière leur manière de travailler, dont les bases forgées à la fin des années 1980 n’ont cessé d’évoluer, participant à l’évolution du nouveau cirque en en bouleversant les codes, imaginant aussi une méthode d’écriture dite ANCAR à laquelle ils consacrent un livre passionnant paru à l’ouverture de la BIAC, Écrire le cirque – L’aventure d’Archaos et la méthode ANCAR (éditions Deuxième époque).
Le soutien d’Archaos à Fanny Soriano datant d’avant sa première création et n’ayant pas failli depuis, la présentation de tous les spectacles de Libertivore dans six villes différentes met en avant un travail commun, une confiance de longue date qui a contribué à la construction d’un univers aujourd’hui très reconnaissable dans le paysage du nouveau cirque. C’est sans nul doute cette singularité qu’Archaos a perçu très tôt chez Fanny Soriano. De même que le ZEF – Scène nationale de Marseille, qui coproduit et accueille les pièces de Fanny Soriano depuis ses débuts. La naissance de la cinquième création de Libertivore au ZEF à l’occasion de la BIAC était donc pour l’artiste une forme, comme elle l’a dit à l’issue de sa première représentation, d’« accouchement à la maison ». Né tout près de ses aînés que sont Libertivore, Hêtre, Phasmes, Fractacles et Ether, Brame n’a pas déçu les espérances : tout en affichant un très clair air de famille avec ses quatre prédécesseurs, en en prolongeant l’empreinte, cette pièce pour huit interprètes était dès son premier jour dotée d’une personnalité propre, complexe et passionnante.
La lumière très opaque, très épaisse du premier tableau de Brame, l’esquisse de forêt qui s’y dessine malgré tout, faite d’arbres et mâts, et le dos qui nous fait face, lointain, posent d’emblée les bases de l’environnement, du « biotope (sur)naturel » de la pièce. Si l’on y retrouve des éléments présents dans les pièces précédentes – les branches, par exemple –, ce monde ne tarde pas à révéler son autonomie. Écrite pour huit interprètes, alors que Libertivore avait jusque-là rassemblé au maximum cinq personnes, cette nouvelle pièce se concentre sur un sujet qui permet à la metteure en scène de poursuivre la recherche qu’elle mène depuis ses débuts sur la rencontre entre l’humain et l’organique : l’Amour. Ce « grand cirque », comme elle le nomme, est pour Fanny Soriano un terrain rêvé pour continuer ce qu’elle a commencé dans Éther après un triptyque consacré aux relations entre l’Homme et la Nature : explorer les relations des Hommes entre eux.
Beaucoup plus qu’un catalogue vivant représentant différentes façons d’aimer, rassemblant divers rituels de séduction, Brame est un microcosme où l’on nous fait entrer tels des visiteurs invisibles. Cette place privilégiée, régulièrement adoptée aussi par l’un ou l’autre des huit interprètes qui s’extirpe de la meute pour l’observer, nous permet d’avoir accès à l’intimité des créatures peuplant la pièce. Avec chacun une gestuelle et un élan vers l’autre particulier, inspiré de comportements animaux sans les imiter, ces êtres sont d’abord pour la plupart rampants. Ils descendent des arbres pour évoluer au sol en une sorte de nappe gigotante, avant de se redresser et de se séparer. Dès lors, ils forment tantôt des duos, tantôt de petits groupes aux dynamiques sans cesse changeantes. Antonin Bailles, Hector Diaz Mallea, Nilda Martinez, Erika Matagne, Joana Nicioli, Johnson Saint-Felix, Laura Terrancle et Céline Vallier ne sont pas des personnages, mais des attitudes et des énergies incarnées dans un corps, qui se déploient au contact des autres et des objets-agrès plantés sur la scène. Très précise, chorégraphiée, leur partition présente une distance suffisante par rapport à l’humanité pour la donner à penser. Par leur inquiétante étrangeté, les habitants de Brame nous font réfléchir sur nos intimités.
Dans une fluidité parfaite, qui doit beaucoup à la création lumière et musicale du spectacle – au rythme des étreintes et des luttes, on passe avec bonheur de Kae Tempest à Éric Satie –, les huit artistes de Brame ont l’art d’évoquer les manifestations de l’Amour sans jamais passer par les nombreux clichés qui s’y rattachent. Le langage du geste, avec eux, permet d’éviter les banalités et les répétitions du discours amoureux. Si les parades, les jalousies, les passions et les pugilats se succèdent, et souvent même cohabitent dans Brame, c’est à l’écart des manières habituelles de les dire. Cet écart ne met pas à distance : il donne à voir autrement. Il poétise et, ce faisant, invite
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Brame
Écriture, chorégraphie et scénographie Fanny Soriano
Interprétation Antonin Bailles, Hector Diaz Mallea, Nilda Martinez, Erika Matagne, Joana Nicioli, Johnson
Saint-Felix, Laura Terrancle, Céline Vaillier
Musique Grégory Cosenza Lumière Thierry Capéran Costumes Romane Cassard
Regard scénographique Domitille Martin
Collaboration chorégraphique Anne-Gaëlle Thiriot
Construction Sylvain Ohl Construction décor Géraldine Blin et Johanne Bailly
Assistanat à la chorégraphie Noémie Deumié
Régie générale et plateau Vincent Van Tilbeurgh et Marion BottaroFanny Soriano est artiste associée au Théâtre Jean Lurçat Scène nationale d’Aubusson et artiste à l’honneur de la 5ème Biennale Internationale des Arts du Cirque de Marseille.
PRODUCTION Cie Libertivore
COPRODUCTIONS Archaos – Pôle national cirque – Marseille / Théâtre Jean Lurçat Scène nationale
d’Aubusson / Pôle Arts de la scène – Friche de la Belle de Mai – Marseille / Cantabile 2 – Danemark
Théâtre Durance – Scène conventionnée d’intérêt national Art et Création – Pôle de développement
culturel / Théâtre Jean Arp -Clamart / ACB Scène nationale Le Théâtre – Bar-le-Duc / Créteil – Maison des
Arts / Le Carré Scène nationale de Château-Gontier / Circa Pôle national cirque Auch Gers Occitanie /
Scènes & Cinés – Scène conventionnée d’intérêt national Art en Territoire / Théâtre Molière – Sète, scène
nationale archipel de Thau
SOUTIENS La compagnie Libertivore est conventionnée par la DRAC PACA. Aide nationale à la
création cirque de la DGCA / Aide à l’exploitation de la Région SUD / Aide au fonctionnement du Conseil
départemental des Bouches-du-Rhône / Avec le soutien du Département des Bouches-du-Rhône-Centre
départemental de créations en résidence / Aide à la production de la Ville de Marseille
Avec le soutien du Jeune Cirque National – Centre National des Arts du Cirque de Châlons-en-ChampagneDurée : 1h45
Théâtre de la Cité internationale – Paris
Du 4 au 10 juin 2023
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