A l’Opéra de Paris, Ivo van Hove signe une représentation froide et figée de Boris Godounov, l’ouvrage éminemment politique de Moussorgski, et porte un regard désabusé et compatissant sur l’homme d’état rongé par le remord.
Même historiquement connoté, Boris Godounov se prête finalement bien aux adaptations contemporaines. Les versions radicalement âpres et actuelles de Johan Simons à Madrid, de Graham Vick à Saint-Petersbourg ou de Calixto Bieito à Munich l’attestent aisément. Ivo van Hove qui signe sa première mise en scène à l’Opéra de Paris avant un Don Giovanni très attendu, cherche lui aussi à montrer la forte actualité du message, sans exacerber la violence et la crudité du propos comme l’ont fait les artistes cités, mais en offrant plutôt la peinture désolée d’un peuple comme d’une élite totalement affligés.
On ne trouve pas dans son travail de références explicites au contexte politique d’aujourd’hui. Mais, au moins, voici l’œuvre délivrée de ses éternels oripeaux, de décors massifs et fastueux d’une Russie éternelle et fantasmée, des lourds apparats d’un folklorisme de pacotille à la manière de Zambello. Le plus grand dépouillement scénique se voit compensé par des images vidéos surdimensionnées. Parfois éloquente, comme la lente ascension au pouvoir, l’illustration est aussi d’un intérêt variable.
La figure du leader politique occupe une place importante dans le travail d’Ivo van Hove. Du Dieu Wotan au roi Macbeth en passant par les plus magnanimes empereurs mozartiens, le metteur en scène s’emploie toujours à questionner le pouvoir et sa représentation. Boris Godounov vient compléter avec certes moins d’inspiration qu’auparavant un panthéon déjà conséquent. Le choix de la version « initiale » de 1869, dramatiquement plus condensée permet de se concentrer sur le héros éponyme présenté en chef d’état, appartenant aussi bien à la Russie qu’à n’importe quelle nation mondiale, dans un décor qui se résume à un seul motif symbolique : un grand escalier encadré de trois cloisons en lévitation, représentation métonymique du Kremlin comme une haute sphère coupée du monde et de la réalité. On a connu chez van Hove des formes plus ambitieuses. En témoignent, ses trilogies shakespeariennes formidables d’invention et de sophistication. A noter la prochaine reprise des Tragédies romaines à Chaillot. Avec maestria, van Hove y actualise et interroge avec passion et frénésie les enjeux politiques et humains de l’exercice du pouvoir.
Si une solide et homogène distribution comporte de graves et vibrionnantes basses, tous les personnages peinent à exister dans toute leur profondeur et leur complexité. Seul le court rôle de l’Innocent est fortement incarné par Vasily Efimov. Tout repose évidemment sur le rôle-titre, campé avec une très belle assurance par le russe Ildar Abdrazakov, aussi convaincant dans le chant que dans le jeu, sans excès de puissance tonitruante mais chaleureux, torturé. Exprimant pleinement sa solitude et sa culpabilité, c’est un Boris profondément humain et même poignant lors du final qui donne à voir l’assassinat de Dimitri, le jeune héritier du trône. On devine un hommage à Patrice Chéreau dans la quasi-citation de Phèdre qui est faite alors que Boris comme Thésée se macule le visage du sang de la victime.
A la lecture plutôt terne que livre van Hove de l’opéra, fait écho une direction d’orchestre superbe mais peu éclatante de Vladimir Jurowski. Le chef affirme le goût du beau son, fait preuve d’un extrême raffinement, d’une méticulosité sans pareille mais aussi d’une certaine monotonie. Les couleurs, les nuances, les tempos sont empreints d’une mélancolie triste et morne. Le chœur, trop peu mobile, est quant à lui au diapason dans une représentation uniformément grisonnante. Mais il assure avec force son rôle de premier plan.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Boris Godounov
Opéra en trois actes, un prologue et sept tableaux
Musique
Modeste Moussorgski
Livret
Modeste MoussorgskiD’après Alexandre Pouchkine, Nicolas Karamzine
En langue russeDirection musicale
Vladimir Jurowski
7, 10, 13, 16, 26, 29 juin, 2 juil.
Damian Iorio
19, 22 juin, 6, 9, 12 juil.Mise en scène
Ivo Van HoveBoris Godounov
Ildar Abdrazakov
7, 10, 13, 16, 19, 22, 26, 29 juin – 2, 6 juillet
Alexander Tsymbalyuk
9, 12 juilletFiodor
Evdokia Malevskaya
Xenia
Ruzan Mantashyan
La nourrice
Alexandra Durseneva
Le prince Chouiski
Maxim Paster
Andrei Chtchelkalov
Boris Pinkhasovich
Pimen
Ain Anger
Grigori Otrepiev
Dmitry Golovnin
Vaarlam
Evgeny Nikitin
L’aubergiste
Elena Manistina
L’innocent
Vasily Efimov
Mitioukha
Mikhail Timoshenko
Un officier de police
Maxim Mikhailov
Un boyard, voix dans la foule
Francisco Simonet
Misail
Peter BronderDécors
Jan Versweyveld
Lumières
Jan Versweyveld
Costumes
An D’Huys
Vidéo
Tal Yarden
Dramaturgie
Jan Vandenhouwe
Chef des Choeurs
José Luis BassoOrchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris
Maîtrise des Hauts-de-Seine / Chœur d’enfants de l’Opéra national de Paris
Surtitrage en français et en anglaisCe spectacle fait l’objet d’une captation réalisée par Don Kent, coproduite par l’Opéra national de Paris et Bel Air Média, avec la participation de France 2, avec le soutien du CNC et de la Fondation Orange, mécène des retransmissions audiovisuelles de l’Opéra national de Paris. Ce spectacle sera retransmis en direct sur Culturebox le 7 juin 2018 à 20h. Il sera également retransmis le même jour en direct avec le concours de Fra Cinéma, dans les cinémas UGC, dans le cadre de leur saison Viva l’Opéra ! et dans des cinémas indépendants en France et dans le monde entier. Il sera retransmis ultérieurement sur France 2 et sur France Musique le 24 juin 2018 à 20h.
Durée: 2h10 sans entracte
Opéra Bastille
du 04 juin au 12 juillet 2018
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