La septième édition du festival Zoom s’est ouverte à Théâtre Ouvert avec Borderline Love, mise en espace d’un récit aussi percutant que saisissant des « amours déformés » d’une jeune femme.
Pendant ses premières éditions, le festival Zoom annonçait en sous-titre de sa manifestation « du réel au poétique ». Si cette mention ne figure plus aujourd’hui sur les éléments de communication, le festival tient cette ligne programmatique, choisissant d’accueillir des artistes qui élaborent à partir de matériaux documentaires des œuvres propres. Des œuvres où les autrices et auteurs se saisissent de récits ancrés dans le contemporain – qu’ils soient intimes, politiques, sociaux ou historiques – et les déplacent, les transfigurent, pour déployer une forme spécifique à leur univers respectif.
Cette manière de travailler le réel, avec le réel, la septième édition du festival continue de l’explorer, en laissant une grande place à une nouvelle génération d’artistes. Car de Guillaume Cayet à Laureline Le Bris-Cep, de Laureline Marx à Jean d’Amérique, ce sont des pas encore ou des récemment trentenaires aux écritures multiples qui s’installent à Théâtre ouvert – aux côtés d’autres artistes plus confirmés tels que Sonia Chiambretto, Yoann Thommerel, Olivia Rosenthal. Et si l’on choisit d’employer le terme « artiste » plutôt que celui d’écrivain ou d’autrice, c’est que la majorité des cités ne font pas qu’écrire, et sont selon les parcours également performeuse, plasticienne, comédien, etc. Ainsi, certains signent également la mise en espace voire l’interprétation de leur texte, tandis que d’autres travaillent en binôme avec des metteuses en scène (Keti Irubetagoyena pour Olivia Rosenthal, Fanny Sintès pour Laurène Marx).
Ce sont ces deux dernières qui ont ouvert Zoom avec Borderline Love. Dernière pièce en date de Laurène Marx, autrice trans non binaire (dont le texte Pour un temps sois peu jouera en juin au Printemps des comédiens à Montpellier dans une mise en scène de Lena Paugam), Borderline Love résonne comme jamais avec cet enjeu « du réel au poétique ». Interprété par Ella Benoit, Jeanne Azar, Fanny Sintès et Laurène Marx elle-même, le texte est la confession d’une jeune femme de sa vie à une autrice. Une jeune adulte dont l’existence, quoique encore courte, n’a traversé que des amours « borderline ». Élevée par un père instable, colérique et misogyne et une mère effacée, subissant les assauts des hommes en raison de sa beauté et ayant troqué son violon contre son torchon, elle narre par le menu son enfance et son adolescence.
Ce récit allant jusqu’à sa rencontre avec l’autrice est percutant par les violences subies (psychologies comme physiques, et allant jusqu’à un viol subi à l’âge de quatre ans), comme par le portrait de cette famille dysfonctionnelle. Il y a l’urgence à parler, motivée par son souhait de trouver les mots justes à travers cet échange pour s’adresser à son ex – qui l’a quittée en raison, justement, de son amour trop déviant. Il y a ses positions franches, sans concession, son sens de la répartie ébouriffant, son refus du conformisme, sa revendication d’un amour loin des normes, sa manière d’envoyer l’autre dans les cordes. Mais il y a aussi (surtout) le rendu de tout cela par la langue de Laurène Marx : une langue vivante, abrupte, incandescente – un terme souvent galvaudé mais qui ici s’impose avec évidence –, férocement drôle aussi. Sans aucune position de surplomb, l’autrice donne à entendre la vie de la jeune femme autant que sa relation avec l’autrice, la manière qu’a la première de ne pas ménager la seconde.
De bout en bout, l’on suit cette parole fougueuse, concrète, capable de nous balader d’une émotion à l’autre (et qui peut, par son univers, évoquer le travail littéraire de Simon Johannin), refusant le misérabilisme et donnant à voir dans une réalité sans fard les névroses et les drames qui se nouent dans le creux des familles. Enfin, il y a la mise en espace signée Fanny Sintès. Déjà installées chacune à un pupitre avec micro lorsque le public s’installe dans la salle, les interprètes traversent dans cette forme à l’os tous les mouvements de l’histoire. Disant le texte seules ou à plusieurs, passant du chant aux répétitions de mots ou de phrases, des chuchotements aux cris, elles prolongent la vivacité de l’écriture et dessinent par ce paysage oral celui, mental, de la jeune adulte. Soutenu par des créations lumière et musicale précises, accentuant par les beats profonds comme par les ruptures le caractère âpre, tendu et entier de la confession, cet oratorio tient sacrément bien en haleine son auditoire.
Si l’ensemble s’avère un brin long pour une telle forme, si les adresses obsessionnelles de la jeune femme à l’autrice se révèlent répétitives et pas forcément justifiées, les quatre comédiennes tiennent la barre de bout en bout. Ce parcours singulier de cette jeune femme affirmant la possibilité de dépasser ses traumatismes pour vivre des relations loin des modèles normatifs est d’autant plus maîtrisé que, comme l’a précisé Laurène Marx à la fin de la première représentation, la mise en espace a été bouclée dans de très courts délais. Au sortir de Borderline Love, l’on ne peut qu’espérer le revoir plus seulement mis en espace, mais dans une mise en scène permettant encore plus avant à cet univers de se déployer.
Caroline Châtelet – www.sceneweb.fr
Borderline Love
TEXTE Laurène Marx
MISE EN ESPACE Fanny Sintès
CREATION SONORE Nils Rougé
AVEC Ella Benoit, Laurène Marx, Jeanne Azar, Fanny Sintès
PRODUCTION Théâtre Ouvert – Centre National des Dramaturgies Contemporaines avec le soutien de la Région Île-de-France
ACCOMPAGNEMENT Émilie Ghafoorian – (FAB) FABRIQUÉ À BELLEVILLE
L’ensemble de l’œuvre dramatique de Laurène Marx est représenté par l’agence Althéa des éditions Théâtrales, éditeur et agent de l’autrice.
Durée : 2h10
Théâtre Ouvert – Les 12 et 13 mai 2022 à 20h
« Quelles que soient »… ;-(
bonjour,
et oups, en effet… grand merci de votre vigilance, c’est corrigé !