Zingaro du côté des Irish Travellers
Deuxième volet du Cabaret de l’exil, Irish Travellers nous mène sur les pas de ce peuple nomade irlandais au fil de numéros aux teintes variées, tantôt graves, tantôt légers. Et Bartabas de prouver qu’il sait toujours faire parler les chevaux et enchanter son public.
Après le premier volet de son Cabaret de l’exil consacré à la culture Yiddish, Bartabas nous plonge au cœur d’une communauté presque oubliée, la minorité ethnique des Irish Travellers, ces nomades irlandais dont la particularité, contrairement aux juifs d’Europe de l’Est disséminés par la diaspora dans de nombreux pays (sujet du précédent spectacle), est de voyager à l’intérieur de leurs frontières. Cap sur l’Irlande donc, au contact d’un folklore nourri de traditions et coutumes séculaires ! Avec ce nouveau spectacle, la troupe équestre de Zingaro met en lumière la singularité de ce peuple nomade habitué à se déplacer à cheval ou en caravanes tirées par des chevaux. Un point commun entre la compagnie fondée par Bartabas en 1984 et cette ethnie apparue vraisemblablement au XVIIème siècle : le cheval comme élément fondateur d’une identité, compagnon de route et d’existence auquel Bartabas a consacré sa vie. Et ce cabaret, s’il s’inscrit dans la continuité du précédent (mais peut tout à fait se voir séparément, chacun existant comme une entité unique et aboutie) marque également un retour aux sources, à la forme originelle qui fit entrer cet artiste d’exception en création.
Sous le chapiteau boisé du Fort d’Aubervilliers, les trois premières rangées sont meublées de petites tables rondes ornées de nappes colorées sur lesquelles une bouteille d’une décoction alcoolisée typique attend ses convives. L’immersion et l’esprit du cabaret sont au rendez-vous mais que ceux qui n’en bénéficient pas se rassurent, nul besoin de boisson pour se réchauffer au contact de l’esprit familial qui transpire de la troupe, l’émoi naît à peine franchi le seuil de ce lieu unique en son genre. La traversée au-dessus des boxs des chevaux, la sensation de leur présence, là, presque sous nos pieds, et puis l’entrée dans l’arène et sa piste circulaire immuable, ses oiseaux de basse-cour qui batifolent au centre comme si nous n’étions pas là, tout concourt à nous entraîner ailleurs, dans une autre temporalité, une autre réalité, une autre modalité d’exister. L’ambiance chez Zingaro fait partie de l’expérience de spectateur et enveloppe avant même le début de la représentation car bien plus qu’un lieu de spectacles, c’est une maison, un foyer d’artistes hospitaliers où cohabitent en harmonie êtres humains et animaux.
Comme toujours chez Zingaro, la musique joue un rôle prépondérant et se joue en live. Piano, violon, accordéon, cornemuse, bodhran (percussion typique de la musique irlandaise), les musiciens sont partie prenante de la représentation, lui insufflent ses différents rythmes et tonalités. Par ailleurs, le conteur et chanteur Thomas McCarthy, issu d’une famille de travellers, intercale son chant solitaire et mélancolique dans des intermèdes en solo. A capella, dans la sobriété d’un costume noir, assis sur une simple chaise, les yeux baissés et les mains sur les genoux, il semble puiser de très loin les sons qui l’animent, comme habité d’une gravité ancestrale. Son chant s’élève comme une prière dans ce spectacle hanté par la mort et la transmission.
La première scène est une procession endeuillée, triste mais soudée, que conduit un cheval épais et son corbillard auréolé de bougies. Mais l’humour s’invite malgré tout dans ce spectacle criblé de danses et de courses effrénées, d’envolées acrobatiques et de personnages pittoresques. Tel ce prêtre barbu au milieu de sa nuée de moutons agités ou cette jeune femme naine en duo avec un cheval nain. Bartabas a le don de créer des tableaux vivants, des paysages poétiques qui impriment la rétine et l’imaginaire. Certaines scènes sont cependant plus faibles que d’autres, un peu plus convenues peut-être ou faciles, d’autres restent énigmatiques si l’on ne connaît pas les us et coutumes de ce peuple mais la magie est belle et bien là, elle infuse de scène en scène et l’on repart des images pleins la tête. Comme ce danseur de claquettes tourbillonnant sur un tonneau, cet homme à tête de bouc inquiétant monté sur un cheval ébène, cet acrobate mi homme-mi bête voltigeant sur sa corde ou ce poulain blanc s’ébrouant dans le brouillard. Entre sobriété et virtuosité, les numéros s’enfilent comme les perles d’un chapelet et leurs héros sont, comme toujours, les chevaux, d’une beauté majestueuse, mystérieuse et primitive. Les regarder se mouvoir sous nos yeux suffit à nous combler.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Scénographie, conception et mise en scène : Bartabas
Assistante à la mise en scène : Emmanuelle Santini
La troupe :
Chanteur : Thomas McCarthy
Musiciens : Gerry O’Connor (violon), Loic Blejean (pipe), Ronan Blejean (accordéon), Jean-Bernard Mondoloni
(bodhrán et piano)
Artistes : Bartabas, Henri Carballido, Sébastien Chanteloup, Michaël Gilbert, Mickaël G. Jouffray (danseur),
Manolo Marty (artiste force), Perrine Mechekour, Théo Miler, Bérenger Mirc, Leonardo Montresor (corde
volante), Fanny Nevoret, Paco Portero, Bernard Quental, Emmanuelle Santini, Alice Seghier, Cheyenne Vargas, Dakota Vargas, David Weiser
Chevaux : Angelo, Conquête, Corto, Dan, Dicky, Dragon, Famine, Guerre, Guizmo, Homer, Misère, Posada,
Raoul, Ted, Totor, Tsar, Ultra, Oberon, Olimpo, Quijo, Schlimak, Zurbarán, la mule et l’âne.
Responsable des écuries : Mickaël Gilbert
Soins aux chevaux : Bérenger Mirc, Sarah Sefraoui, Caroline Viala
Création costumes : Antonio De Jesus
Réalisation Costumes : Lottie Brazier, Antonio De Jesus, Angélique Groseil, Nicolas Maynou
Habilleuse : Isabelle Guillaume
Accessoiriste : Sébastien Puech
Masques : Cécile Kretschmar
Charrette Tonneau : Max Barnabé, Erwan Belland
Directeur Technique : Hervé Vincent
Son : Juliette Regnier
Lumière : Clothilde Hoffmann
Techniciens plateau : Pierre Léonard Guétal, Julie-Sarah Ligonnière
Technicien de maintenance : Ouali LahlouhDurée : 1h45
Théâtre équestre Zingaro, Aubervilliers
du 18 octobre 2022 au 2 avril 2023
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