En s’emparant de L’Absence de guerre de David Hare, Aurélie Van Den Daele dit l’effondrement des démocraties. Sans trouver la forme ni la force nécessaires au lanceur d’alerte.
Avec son écran qui surmonte un plateau presque nu, entouré de couloirs dont on ne distingue que la naissance, la scénographie de L’Absence de guerre nous place d’emblée en terrain bien connu. Celui dont on découvre chaque fois avec bonheur de nouveaux arpents avec Julien Gosselin, Anne-Cécile Vandalem ou encore Cyril Teste. Celui de la « performance filmique », selon le terme de ce dernier. Du théâtre qui questionne son lien avec le cinéma afin, dit Aurélie Van Den Daele, d’explorer « les mécanismes de l’Histoire contemporaine, et les mises en perspective permettant un nouveau regard sur notre monde ». Réduite à quelques signes – un drapeau, des costumes façon tweed – l’Angleterre des années 1990 où se situe la pièce de David Hare est ainsi élevée au rang de symbole de notre monde globalisé. Et du délitement de ses démocraties.
Rien, dans la mise en scène d’Aurélie Van Den Daele, ne suggère ainsi le contexte singulier d’écriture de la pièce en 1993. Rien ne dit qu’en pleine période électorale en Angleterre, le représentant du parti travailliste de l’époque, un certain Neil Kinnock tombé depuis dans l’oubli, passionné de théâtre, a introduit l’auteur de théâtre et scénariste David Hare dans les coulisses de sa campagne. Et que, donné vainqueur par les sondages, l’homme politique espérait qu’une pièce de théâtre couronnerait ainsi son triomphe qui n’a finalement pas eu lieu. Ce qui n’a pas empêché l’auteur d’utiliser le formidable matériau récolté auprès de l’équipe de campagne, et d’en faire le dernier volet d’une trilogie consacrée à l’Église, la justice et le Parti travailliste. À peine masqués sous des noms fictifs – Neil Kinnock, par exemple, devient George Jones – et quelques inventions, la situation et ses protagonistes faisaient au moment de l’écriture directement écho à la scène politique anglaise.
Une pièce si contextuelle pouvait-elle devenir suffisamment fable pour dire quelque chose d’aujourd’hui ? Confiante dans le jeu de ses comédiens – Sidney Ali Mehelleb dans le rôle-titre, Émilie Cazenave, Grégory Corre, Julien Dubuc, Grégory Fernandes, Julie Le Lagadec, Alexandre Le Nours, Marie Quiquempois et Victor Veyron – et dans son utilisation de la vidéo, Aurélie Van Den Daele a jugé que oui. Possible. Son Absence de guerre, pourtant, ne nous en convainc pas. Donnant tantôt à voir des scènes qui se déroulent hors plateau, tantôt redoublant ce qu’on voit très bien, l’écran qui domine la scène ne suffit pas à créer un décalage par rapport au texte de David Hare. Plutôt que d’ouvrir sur un univers plus vaste, il en accentue les limites, les défauts. À la manière d’un mauvais rouge à lèvres, il aguiche et lasse aussitôt. Avant de filer la nausée. Faute de servir le récit, les intermèdes plus ou moins baroques qu’Aurélie Van Den Daele dit inspirés de David Lynch complètent hélas ce maquillage.
Coupé de son contexte immédiat, servi par une forme sans singularité, L’Absence de guerre n’offre guère davantage qu’une lecture simpliste de l’effondrement du système démocratique. En particulier de la gauche, incarnée en l’occurrence par un leader sans qualités. Incapable de perpétuer les idéaux de son parti, comme de s’abandonner complètement au culte de l’image et de la personnalité que professent ses collaborateurs. La pauvreté de la forme aurait mérité d’être traitée. Plutôt que d’apparaître comme un impensé ou un effet de mode, elle aurait pu creuser la question de la représentation au centre de la pièce, au lieu d’en creuser les banalités.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
L’Absence de guerre
De David Hare
Traduction : Dominique Hollier
Mise en scène : Aurélie Van Den Daele, artiste associée au Théâtre de l’Aquarium
Collaboration artistique : Mara Bijeljac
Scénographie, lumière/vidéo, son : Collectif INVIVO (Chloé Dumas, Julien Dubuc, Grégoire Durrande)
Binôme scénographie : Charles Boinot
Costumes : Elisabeth Cerqueira
Stagiaires assistants : Thibaut Besnard & Pauline Labib
Avec Émilie Cazenave, Grégory Corre, Julien Dubuc (cadreur plateau), Grégory Fernandes, Julie Le Lagadec, Alexandre Le Nours, Sidney Ali Mehelleb, Marie Quiquempois, Victor VeyronProduction DEUG DOEN GROUP
Coproduction : Théâtre de l’Aquarium, Théâtre les Îlets-CDN de Montluçon, Faïencerie de Creil, Ferme de Bel Ebat-Théâtre de Guyancourt, Fontenay-en-Scènes. Avec le soutien d’Arcadi Île-de-France, de la SPEDIDAM, de l’ADAMI et l’aide à la résidence de la Mairie de Paris. L’auteur est représenté par Renaud & Richardson pour les pays francophones, en accord avec Casarotto Ramsay and Associates London.
Durée : 2h15
Théâtre de l’Aquarium
Du 8 janvier au 3 février 2019La Faïencerie – Creil
Le 21 mars 2019Théâtre des Îlets – CDN de Montluçon
Les 2 et 3 avril 2019Fontenay en Scènes
Le 5 avril 2019Théâtre de La Croix Rousse – Lyon
Du 9 au 12 avril 2019
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