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Au Phénix, le langage entre guerre et fête

Actu, Théâtre, Villeneuve d'Ascq
Mona Darle

Jamais je ne vieillirai © Mona Darle

Rendez-vous annuel du Phénix, où toutes les singularités sont permises, le Cabaret des curiosités s’est cette année déroulé en petit comité de professionnels. Invitant à regarder le langage en face, cette édition ouvre des voies passionnantes pour se retrouver, malgré les distances imposées.

Le Cabaret des curiosités de cette année ne fut pas que « Véhémences », titre de l’édition qui s’est tenue du 10 au 12 mars sous forme de rencontres professionnelles. Face à la généralisation de la « post-vérité, aplatissement des savoirs, plongée dans l’obscurantisme… » constatée par Romaric Daurier et son équipe de la scène nationale Le Phénix de Valenciennes qui porte le festival, les artistes programmés ont chacun leur méthode. Certains optent pour une dénonciation frontale du phénomène, d’autres proposent une alternative. Ils opèrent toutefois sur un terrain commun : le langage. D’un côté, on a notamment Roméo Castellucci avec Le IIIème Reich et Jeanne Lazar avec Jamais je ne vieillirai ; de l’autre, Les Forteresses de Gurshad Shaheman et Feu de tout bois d’Antoine Defoort. Sans hésitation, notre préférence va aux seconds qui, au lieu de l’opposer au reste du monde, placent le théâtre au cœur de celui-ci et inventent entre eux des dialogues fertiles, preuves d’une croyance dans la capacité du verbe et du geste au plateau à changer la donne.

Le temps des retrouvailles…

En ces temps où proximité est synonyme de danger, où tout contact est surveillé, les créations de Gurshad Shaheman et d’Antoine Defoort résonnent avec une force particulière dans ce Cabaret de curiosités qui a dû renoncer à sa part de fête et de convivialité. Ces deux pièces nées ou presque pendant le festival – organisée par Les Rencontres à l’échelle qui soutiennent l’artiste de longue date, une avant-première des Forteresses s’est donnée en janvier à Marseille –, mettent en effet en scène des retrouvailles. Dans Feu de tout bois, Michel et Taylor se retrouvent dans la forêt après une longue période passée par le premier dans une sorte de capsule – « il était parti faire de la deep-mindfulness dans une sorte d’ashram du futur, à Fontainebleau », lit-on sur le site internet de la coopérative de projets l’Amicale de Production qui fut associée au Phénix de 2013 à 2020, dont Antoine Defoort est le cofondateur avec Julien Fournet et Halory Goerger. Le dialogue des deux amis se déploie sur le mode d’un délicieux gai savoir dont l’Amicale a fait au fil de ses productions l’une de ses marques de fabrique.

Les retrouvailles des Forteresses s’expriment d’une toute autre manière : elles ne font pas partie du récit, mais restent à sa marge. Si l’idée de la pièce est venue à Gurshad Shaheman à Avignon en 2018, où sa mère qui vit en France et ses deux tantes iraniennes – l’une vit en Allemagne, l’autre en Iran – viennent voir son spectacle Il pourra toujours dire que c’est pour l’amour du prophète, ce qui l’intéresse le plus n’est pas cette situation elle-même. C’est ce qu’elle peut susciter de langage, de savoirs partageables. Dans la continuité de Pourama Pourama (2015), où il racontait lui-même plusieurs épisodes de sa vie iranienne depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte, l’artiste crée pour cela un espace dans lequel le spectateur peut se projeter selon sa culture et sa sensibilité. Avec peu de choses – pour l’essentiel, des matelas recouverts de tapis persans sur lesquels on est invité à s’installer –, Gurshad met en place les conditions nécessaires à un dialogue qui n’aurait pu exister ailleurs qu’au théâtre. Lequel ne reproduit pas le réel, mais le crée. Dans la fête, parce qu’il y a douleur. Parce qu’il y a deuil.

… et de la séparation

Nulles retrouvailles chez Roméo Castellucci et Jeanne Lazar. Guère de fête donc, mais de la critique, de la colère. En la matière, le metteur en scène italien laisse libre cours à son goût bien connu pour la provocation – son titre, Le IIIème Reich, ne laisse là-dessus aucun doute. Co-réalisée par Le Phénix et Le Manège, Scène Nationale de Maubeuge pour venir occuper le Cabaret des curiosités, cette pièce s’ouvre à la manière d’un rituel pour se poursuivre comme une installation. Après qu’un interprète enveloppé de noir ait brisé un os et accompli une petite danse aux airs d’invocation, des mots formés par des néons bleus se succèdent sur grand écran, sur la musique entêtante de Scott Gibbons. Tous types de substantifs se côtoient, à une vitesse parfois telle que le cerveau est dépassé : ils forment une ligne qui nous assomme et nous paralyse. « Critique frontale de la communication contemporaine », l’installation reprend les codes et les mécanismes de ce qu’elle dénonce. Elle les pousse à l’extrême, sans proposer d’alternative. Elle laisse ainsi le spectateur seul avec un constat déjà bien ancien, simplement asséné avec une violence particulière.

Diptyque consacré à Guillaume Dustan et Nelly Arcan, Jamais je ne vieillirai de Jeanne Lazar ne laisse lui non plus aucun doute quant à ses intentions critiques. Inspirées d’émissions télévisées réelles, dont les deux écrivains ont écumé les plateaux et satisfait les penchants voyeuristes des producteurs en y exprimant leurs rapports à la drogue et au sexe, les deux parties du spectacle se veulent une dénonciation des espaces médiatiques. Elles prétendent aussi réhabiliter les deux figures qu’elles placent face à une présentatrice qui coupe court à l’expression de toute pensée un peu profonde. Mais le désir critique de la metteure en scène l’emporte de loin sur les quelques bribes des œuvres qu’elle donne à entendre, au milieu de banalités sur les sujets de prédilection des deux auteurs dont la monstruosité et la part tragique – l’une s’est suicidée à 36 ans, l’autre est décédé brutalement à 39 – sont occultés au profit de leur superficialité. Les langages de la télé et de la littérature, sensés cohabiter, se livrent une bataille à armes très inégales.

Le théâtre en forêt ou au café

Comme dans tout cabinet de curiosités, le Cabaret du Phénix a ses pièces dont l’allure singulière fait barrage à l’imaginaire et à la pensée. Et il a celles qui, au contraire, invitent le spectateur à mettre en jeu sa subjectivité. Gurshad Shaheman et Antoine Defoort ont pour cela chacun leur méthode. Dans Les Forteresses comme dans ses pièces précédentes, Gurshad contourne les formes théâtrales classiques en créant une scission entre corps et voix. Bien que présentes sur scène, les trois femmes de sa famille ne prennent pas la parole : assises sur de hauts sièges, ce sont des comédiennes (Mina Kavani, Shady Nafar et Guilda Chahverdi) qui sont chargées de dire leurs parcours traversés par les grands événements de l’Histoire iranienne récente – la révolution de 1979, la désillusion après l’islamisation du pays et huit ans de guerre.

(c) Tarlan Rafiee

En plus de « désexotiser », de rendre universel le récit des trois témoins, cette distance suscite une relation forte entre tous les acteurs de la représentation. Parmi lesquels Gurshad lui-même, qui accompagne avec douceur et discrétion la parole des unes, les gestes des autres, et assure en chansons et en déhanchés les transitions entre les différentes parties de la pièce. En transformant le réel, même ponctuellement – sans Les Forteresses, les trois sœurs n’auraient sans doute pas partagé ce qu’elles partagent aujourd’hui –, Gurshad Shaheman crée une qualité de présent exceptionnelle. Il donne à l’instant une densité proche de celle qu’on vit dans un café, dont tapis persans et verres de thé nous font aujourd’hui l’effet d’un paradis perdu : dans le labyrinthe de récits qui nous est offert, toutes les associations et les interprétations nous sont permises, à chaque instant.

Feu de tout bois fait aussi du spectateur un promeneur. Sur un plateau déguisé en forêt, avec coussins en forme de troncs et images de sous-bois projetées sur chaque mur, Antoine Defoort le cofondateur de l’Amicale de Production nous fait voyager dans un futur proche où la technologie permet bien des choses, comme de donner vie aux souvenirs sous différentes formes. C’est ce que fait Taylor pour son ami revenant, à qui il retrace ainsi ses aventures au sein d’un parti politique, la Plateforme Contexte et Modalité, dont le projet central est le développement d’une nouvelle forme de communication, démocratique, bienveillante. Introduite par une « médiatrice fictionnelle » (Sofia Teillet) chargée de s’assurer des bonnes relations entre fable et spectateur, cette pièce oppose au système médiatique existant un langage totalement inventé, aussi déjanté que cohérent. C’est un langage utopique et présenté comme tel, mais dont l’existence fictionnelle pointe les défauts du réel. Au Phénix, les curiosités sont choses sérieuses. Ce qui n’interdit pas de s’en délecter.

Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr

 

15 mars 2021/par Anaïs Heluin
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