Acte de naissance de la compagnie Cirque Queer, Le Premier Artifice présenté en ouverture de la 19ème édition du Village de cirque (8-24 septembre 2023) célèbre sous chapiteau les identités hors-normes, les êtres qui se définissent par leurs métamorphoses. Pailletée et festive, mais aussi parfois troublante, la poétique de ce spectacle fonde sa force politique.
La compagnie Cirque Queer a beau être née très récemment, en 2020, sa jeunesse ne nous saute pas d’emblée aux yeux. Sa première création a beau s’intituler Le Premier Artifice, elle s’inscrit à la suite de bien des histoires, de nombreuses aventures où les genres se sont retrouvés mêlés, confondus, de même souvent que les disciplines artistiques. Le choix du chapiteau comme espace de représentation, déjà, place les sept interprètes et co-auteur-ice·s de la pièce – Marthe, Elvis Gwenn Buczkowski, Andrea Vergara, Simon Rius, Mona Guyard, Lia Plissot et Jenny Victoire Charreton – dans le sillage du cirque traditionnel. Le Monsieur-Madame Loyal qui nous accueille confirme cet héritage, tout en lui apportant des nuances. Si son costume rouge et son haut-de-forme lui composent une silhouette classique, rassurante, il n’y a guère besoin de beaucoup se concentrer pour voir dans la mise du personnage tout ce qui l’éloigne du modèle dont iel s’inspire. Sa veste très courte, sa fleur au chapeau, son maquillage sont des écarts très significatifs par rapport à la mise habituelle d’un Monsieur Loyal. Ils dessinent ensemble les contours d’une autre figure, elle aussi classique mais d’un autre type : celle de la meneuse de revue de cabaret. Entre le cirque et le cabaret, Le Premier Artifice ne tranche pas. Il rassemble, il agglomère ici et là ce qui lui plaît.
Toutes les créatures qui se succèdent sur la piste du Cirque Queer sont à l’image de cellui qui nous les présente. Iels sont au carrefour de plusieurs esthétiques, de cultures et de genres différents. Iels sont fait·e·s de paillettes tout autant que d’ombres, de rires et de douleurs, d’angoisses et de colères et iels ne cherchent pas à uniformiser tout cela. Au contraire. L’hybride animateur·ice de la soirée, très régulièrement aidé·e dans sa fonction par les autres, formule dès les premières minutes de la pièce une autre des grandes sources d’inspiration du groupe, qui explique bien la tonalité claire-obscure de la pièce et ses multiples jeux de contrastes : c’est dans l’univers du freakshow que Cirque Queer puise une partie de ses références. En plus des genres, des disciplines et des registres, ce sont donc les époques que tissent ensemble les membres du Cirque Queer. Iels prouvent ainsi à quel point le chapiteau est propice à toutes les rencontres.
Si les mélanges du Premier Artifice paraissent si naturels, ce n’est pas toutefois par le seul pouvoir du circulaire, ni par la seule beauté étrange des êtres qui l’habitent, tantôt tous ensemble tantôt séparément. La cohérence, l’harmonie de l’ensemble tient aussi beaucoup à la pensée que les artistes se sont choisi comme socle commun : celle de la chercheuse Marion Guyez, selon qui « l’héritage traditionnel du freakshow omet de préciser qu’une partie des freaks exhibé·e·s autrefois étaient des personnes que l’on définirait aujourd’hui comme des personnes queer ». Tout en portant l’histoire du freakshow, Cirque Queer s’en distingue à un endroit fondamental, au cœur de la part politique du geste de la jeune compagnie : si les créatures du cirque d’aujourd’hui sont tout autant des curiosités que celles d’hier, c’est elles-mêmes qui appellent le regard sur elles et qui dans se but se construisent l’image de leur choix.
Cette fabrique de l’image, de l’artifice est au centre du cirque-cabaret. Sur l’une des deux petites scènes consacrées à la musique, des tables encadrées de guirlandes lumineuses font offices de loges pour les interprètes qui se changent, se transforment alors à vue. Davantage qu’une succession de numéros, Premier Artifice est une suite de construction de tableaux vivants qui la plupart du temps ont à peine le temps d’exister qu’ils laissent déjà la place à un autre chantier. À peine par exemple l’un·e des artistes se fait elle reine à grandes plumes et poses assurées, affirmant son droit à montrer ce qu’iel veut comme iel le veut, qu’un·e autre artiste vient prendre le relai et poursuivre en pleine lumière une transformation entamée dans le clair-obscur d’une vraie-fausse loge. On assiste ainsi à la naissance d’un·e clown ambigu chantant la comptine À la pêche aux moules en jouant le rôle de cible pour un lanceur de couteaux. On admire la métamorphose d’un·e trapéziste en dame du monde prête pour une soirée chic. Une batteuse de folie se révèle une matamore capable de bien des acrobaties. Plusieurs mues se font encore avec des sangles aérienne, agrès partagé par plusieurs artistes du collectif.
Jamais figées, les identités qui s’expriment sur la piste aux étoiles noires et strassées de Cirque Queer font subir toutes les contorsions possibles à la notion de genre. Dans une énergie à dominante punk, mais qui n’hésite pas à chercher des forces et de la poésie du côté d’Higelin, d’une chanson latino-américaine ou encore d’un air de musique classique, féminin et masculin ne cessent de se croiser de manières différentes. Parfois, une icône de la scène musicale d’hier semble s’inviter parmi les vivants. On pense à David Bowie par exemple, qui dans les années 1970 jouait déjà avec le genre dans une grande liberté. En convoquant des fantômes du passé, en teintant toujours sa fête de petites touches d’ombre, Cirque Queer se crée une identité qui parvient à être singulière sans prétendre être pionnière. C’est là ce qui fait la justesse politique de la proposition, qui tire aussi sa force d’un subtil tissage entre intime et collectif. Car si l’on voit chaque individu se former et se transformer, il en est de même du groupe, dont nous sont donnés à voir les mécanismes, les solidarités.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Le Premier Artifice
Compagnie Cirque Queer
Par et avec Marthe, Elvis Gwenn Buczkowski, Andrea Vergara, Simon Rius, Mona Guyard, Lia Plissot, Jenny Victoire Charreton
Musique : Simon Rius, Andrea Vergara, Elvis Gwenn Buczkowski, Marthe, Jenny Victoire Charreton
Direction musicale : Jenny Victoire Charreton
Dramaturgie : Lia Plissot
Accompagnement mise en scène/écriture : Sandra Calderan
Texte «Je t’arme très fort», «Regarde» : Sandra Calderan
Créa/costume : Solenne Capmas
Créa/régie lumière : Kazy De Bourran
Régie son : Jenny Victoire Charreton
Régie plateau-chapiteau-construction : Loïse Mare
Régie générale/ construction : Julia Malabave
Video/photo/communication : Loup Romer
Production/diffusion : Malaury Goutoule
Regards complices : Lydie Doleans, Louise Nauthonnier, Jan Naets
Marrainage : Cie Cabas
Production : L’Oktopus
Coproductions : Circa, PNC Auch, Occitanie, La Verrerie, PNC Alès, Occitanie, Le Palc, PNC Châlons-en-Champagne, Grand Est, Le Manège, Scène Nationale de Reims, Grand Est, L’Azimut – Antony & Châtenay-Malabry, PNC en Île-de-France, Réseau Grand Ciel
Soutiens – Accueil en résidence : La Grainerie, fabrique des arts du cirque et de l’itinérance – Pôle européen de production, scène conventionnée d’intêrêt national, Espace culturel La Berline, Cham-Pclauson, Occitanie
Soutien à la résidence de création : Espace chapitô / Coopérative de Rue et de Cirque, Paris
Aide à la résidence : Cirk’Eole, Montigny-lès-Metz, Grand Est, la Ville de Sauve, Occitanie
Le Village de Cirque – Paris 12ème
Du 8 au 10 septembre 2023Festival Circa – PNC Auch, Gers Occitanie
Du 24 au 26 octobre 2023
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