Seul en scène au féminin, né de la réunion de trois artistes, Appels d’urgence irradie la présence de Coco Felgeirolles, un spectacle à elle toute seule. À la mise en scène, Heidi-Eva Clavier l’accompagne de son regard précis et délicat, tandis que le texte d’Agnès Marietta distille son humour et sa finesse d’observation. Le monologue attachant et bien senti d’une femme qui a dépassé la limite d’âge et dit tout haut ce qu’elle a sur le cœur.
Il porte un nom de fleur et de couleur, mais celle qui se cache en réalité derrière le prénom de ce petit théâtre niché dans le quartier de la rue des Teinturiers c’est Lila Nett. Danseuse et chorégraphe américaine ayant choisi Lyon pour ville d’adoption, elle aura rêvé ce projet sans pouvoir le voir se concrétiser. Sa disparition en 2015 coïncidant avec l’ouverture du lieu. Entièrement dédié aux artistes femmes, qu’elles soient autrices, metteuses en scène, chorégraphes, compositrices, interprètes, le Théâtre des Lila’s leur donne, le temps du Festival Off d’Avignon, la parole autant que le plateau. C’est donc au sein d’une programmation 100 % féminine que se joue Appels d’urgence, né de la collaboration de trois femmes : Agnès Marietta à l’écriture, Heidi-Eva Clavier à la mise en scène, Coco Felgeirolles au jeu. Un trio tressé serré, dont on sent en creux la complicité et le désir commun de créer à l’unisson dans une même direction. Car le texte interprété par la comédienne Coco Felgeirolles semble véritablement taillé sur mesure. Et la frontière entre la personne et le personnage souvent se floute à l’écoute.
Il faut dire qu’elle est confondante, Coco. D’emblée, dès notre entrée dans la salle, elle nous accueille, s’adresse au public toutes lumières allumées avec une décontraction qui met tout le monde à l’aise. Espiègle, c’est l’adjectif qui la définit le mieux tout du long. Coco a cette capacité à immédiatement créer un climat de bienveillance dans un lien de proximité. À peine a-t-elle pris la parole qu’elle nous happe. On ne la quittera pas d’une semelle une heure durant. Coco toute simple en vêtements du quotidien nous invite dans son salon à contempler les photos de famille épinglées au mur, témoins argentiques de sa jeunesse envolée. « Vous avez vu les photos ? C’est moi mais en mieux », lance-t-elle à la volée, l’œil qui frise. Et la salle de sourire en cœur. A ce moment-là, on ne sait pas si la représentation a commencé ou pas, et le glissement vers le monologue se fera en finesse, sans qu’on en distingue les coutures.
Le texte d’Agnès Marietta a été écrit pour cette comédienne de tempérament et le résultat garde la trace secrète des allées et venues entre la personne et le personnage, les emprunts au réel et la fiction cousue entre. Il explore avec beaucoup de justesse et de tendresse le lien de cette femme âgée, mère de deux enfants déjà grands, avec les nouvelles technologies. Comment celles-ci se fondent dans nos vies pour y prendre la place qu’on veut bien leur donner. Envahissants, rassurants, oppressants, sécurisants, ces objets connectés qui ont envahi notre quotidien trahissent notre rapport au monde, à la modernité, positionnent le curseur de nos liens humains, de nos façons d’être en contact et d’être ensemble. Depuis l’entrée du poste de télévision dans les salons jusqu’aux jeux vidéo interactifs, en passant par les réseaux sociaux, les portables ou les imprimantes, nos modes de vie ont évolué à vitesse grand V. Et les personnes âgées doivent prendre le pli pour être dans le coup. Mais ce qui se dit surtout dans ce monologue buissonnier, c’est la personnalité d’une femme qui s’insurge contre les projections liées à son âge. Les préjugés, les reproches, les attentes, les étiquettes. La mère à la retraite est censée avoir tout son temps pour ses enfants, ses petits-enfants… pour les autres en fait. Et elle dans tout ça ? Ses désirs, ses aspirations, ses envies ?
Sur scène, quasiment rien, mais tout ce qu’il faut de machines utiles : un ordinateur, un écran plat et une manette de jeux, une console pour être indépendante dans sa conduite lumière. Dans la poche, un portable bien sûr. Au milieu, Coco qui parle, Coco sur sa console qui nous donne un cours d’éclairage, Coco maman aux prises avec ses enfants, Coco en blouson de cuir qui danse sur du rap, Coco cowboy, Coco qui clope, Coco et ses anecdotes qui toujours font tilt et sens. Drôle, émouvante, définitivement attachante, Coco Felgeirolles nous sert ce texte avec un tact délectable, son visage est un livre ouvert traversé par un éventail d’émotions fugitives et mouvantes. Et lorsqu’elle déclare : « Ce que je veux, c’est avoir une place dans la vraie vie », on se dit qu’il n’y a pas d’âge pour tendre à la vie en vrai et mettre nos émissaires du virtuel en sourdine.
Marie Plantin – sceneweb.fr
Appels d’urgence
Texte Agnès Marietta
Mise en scène Heidi-Eva Clavier
Avec Coco Felgeirolles
Création lumière de Philippe LagrueProduction Compagnie Sud lointain
Durée : 1h
Festival Off d’Avignon 2023
Théâtre des Lila’s
du 7 au 29 juillet, à 13h15 (relâche les 11, 18 et 25)Du 21 mars au 12 juin 2024 à la Comédie Saint-Michel
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