Partant du principe que toutes les musiques sont matière à danse, Anne Teresa De Keersmaeker s’empare des chansons de Brel avec son co-chorégraphe, trois fois plus jeune qu’elle, Solal Mariotte. En duo, ils s’amusent à désacraliser l’icône franco-belge avec une légèreté presque enfantine.
Tout semble grandiloquent, sinon martial, au commencement. Il y a, bien sûr, le lieu de cette création partie pour une longue tournée, la Carrière de Boulbon ; puis le sujet écrit en majuscules pour effrayer celles et ceux qui ne seraient pas fans du chanteur : BREL ; et, dès les premières secondes, une chanson, Le Diable (ç…a va), dont les paroles s’inscrivent au fur et à mesure en fond de scène, tantôt sur le cartel dédié au sol, tantôt en très gros caractères sur la montagne. Ce principe va prévaloir tout au long du spectacle sans jamais sombrer (erreur fatale !) dans un karaoké. Il s’agit plus de mettre en avant l’amour de la langue d’Anne Teresa De Keersmaeker, comme dans Stella vis-à-vis des écrits de Goethe ou de Tennessee Williams en 1990.
Une fois les codes posés et adaptés, il n’y a plus qu’à rencontrer la chorégraphe-danseuse – parce que simplement, viscéralement, « sur la place chauffée au soleil / Une fille s’est mise à danser ». Timidement, elle tressaille hors du cercle de lumière qui occupe une partie de la scène. Le micro sur pied n’est pas encore le sien. La figure du chanteur l’intimide, mais cela ne va pas durer. Car, dans la foulée, du haut de la montagne, une voix masculine crie « Quand on a que l’amour » et dévale dans le noir la colline pour se rapprocher du public, mais pas encore d’elle qui entame une Valse à mille temps en solitaire. Dès lors, Anne Teresa De Keersmaeker trouve la tonalité de cette création étrange et agréable : le burlesque. Ce projet original l’amuse follement. Elle se fait automate, roule des yeux, joue et nous fait entendre tout particulièrement les cymbales et les castagnettes des orchestrations des célébrissimes chansons, notamment dans Bruxelles donnée en pleine lumière avec les lettres BXL projetées en grand. Dans des costumes volontairement trop larges pour leurs carrures, les deux chorégraphes remettent la Belgique au cœur de cette création. Elle y est née, y a fondé sa compagnie Rosas en 1983 et, douze ans plus tard, son école P.A.R.T.S., où Solal Mariotte, 41 ans de moins, a appris le métier et où il a dansé sur la Valse pour un projet d’étude. Les langues flamandes et wallonnes se mélangent dans la bilingue Marieke et Le Plat pays interprété dans les deux versions.
En même temps que ces différentes parties composent peu à peu un tout, les deux interprètes, qui ont chacun chorégraphié certaines chansons, trouvent un chemin commun entre la base de breakdanceur et le rythme binaire de l’un et le travail immuable de walking dance de l’autre, qui, en 65 spectacles, s’est essayée à tous les tempos et à toutes les musiques du XIVe au XXIe siècle – excepté celles du XIXe. Parce qu’ils empruntent leurs langages respectifs – elle tente un poirier pour imiter sa façon de tourner sur la tête –, ils se trouvent au point que l’un porte l’autre dans un titre ode à la fraternité, Jef. Progressant vers une complicité de plus en plus affirmée avec Brel, il, puis elle, se permettent, sans être ridicules, de chanter à sa place. Même la périlleuse mise à nu de la chorégraphe fonctionne, car son dos devient réceptacle d’une petite partie de la vidéo de concert projetée, avec seulement la bouche du chanteur. Tout un symbole. Après l’exaltant EXIT ABOVE, qui scellait la rencontre artistique de ce duo en même temps qu’il célébrait la croisée des genres musicaux et des générations, Keersmaeker continue de prendre des tangentes inattendues. Si BREL n’est pas une grande œuvre marquante de l’histoire de la danse, elle n’en demeure pas moins une très joyeuse démonstration que ce répertoire n’est pas moins pertinent que ceux des musiques supposées plus savantes.
Nadja Pobel – www.sceneweb.fr
BREL
Concept, chorégraphie et danse Anne Teresa De Keersmaeker, Solal Mariotte
Chansons Jacques Brel
Lumières Minna Tiikkainen
Scénographie Michel François
Costumes Aouatif Boulaich
Dramaturgie Wannes Gyselinck
Direction des répétitions et assistantes Nina Godderis, Johanne Saunier
Recherche danse Pierre Bastin
Recherche musical France Brel/Fondation Jacques Brel, Filip Jordens
Son Alex FostierProduction Rosas
Coproduction Concertgebouw Brugge (Bruges), Festival d’Avignon, Grec Festival (Barcelone), ImPulsTanz (Vienne), La Comédie de Clermont-Ferrand, La Comète (Châlons-en-Champagne), La Monnaie / De Munt (Bruxelles), L’Intime Festival de Namur, Piccolo Teatro di Milano – Teatro d’Europa (Milan), Théâtre de la Ville (Paris)
Avec le soutien de Dance Reflections by Van Cleef & Arpels
Cette production est réalisée avec le soutien du Tax Shelter du Gouvernement fédéral belge par Casa Kafka Pictures.Rosas bénéficie du soutien de la Communauté flamande et de la Commission communautaire flamande (VGC).
Durée : 1h30
Festival d’Avignon, Carrière de Boulbon
du 6 au 20 juillet 2025, à 22hAkademietheater, Vienne (Autriche), dans le cadre d’ImPulsTanz
du 28 au 31 juilletGrande Salle, L’Intime Festival, Namur (Belgique)
les 27 et 28 aoûtInternationaal Theater Amsterdam (Pays-Bas)
les 8 et 9 novembreDe Singel, Anvers (Belgique)
du 26 au 29 novembreLa Comète, Châlons-en-Champagne
les 10 et 11 décembreTeatro Central, Séville (Espagne)
les 19 et 20 décembreThéâtre National Wallonie-Bruxelles, Bruxelles (Belgique)
du 7 au 18 janvier 2026Viernulvier, Gand (Belgique)
du 31 mars au 2 avrilCultuurcentrum, Hasselt (Belgique)
le 5 maiThéâtre de la Ville, Paris
du 11 au 20 maiLeietheater, Deinze (Belgique)
le 4 juin
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !