Au Théâtre de la Ville, Julien Fišera s’empare, sans convaincre, de ce texte d’Alice Zeniter où, au long d’un monologue pétri de douleur, une femme prend conscience, à la suite de la mort de son fils, de la réalité, et de la banalisation, des violences policières.
Soudain, une femme déboule en trombe sur le plateau de l’Espace Cardin. « Je m’appelle Nathalie Couderc, vous m’avez peut-être vue à la télévision il y a deux semaines », lance-t-elle, avant de poursuivre : « Bonsoir. Je m’appelle Nathalie Couderc et vous m’avez peut-être vue à la télévision il y a deux semaines. Bonsoir je m’appelle Nathalie Couderc il y a deux semaines j’ai dit à la télévision, à la sortie du tribunal, j’ai dit : Je ne savais pas qu’en France, on pouvait tuer des enfants blancs. » L’assertion saute immédiatement aux oreilles, comme elle a sauté au visage de ceux qui, dans cette France de demain, sont descendus dans les rues autour de Lyon et de Paris pour exprimer leur colère et déclencher des émeutes qui ont occasionné plusieurs blessés graves. Cet « enfant blanc » dont parle Nathalie Couderc n’est autre que son fils, Cédric, tué deux ans auparavant par la police alors qu’il participait à une manifestation. La procédure judiciaire engagée à l’encontre des forces de l’ordre pour faire la lumière sur ce drame a abouti à un non-lieu qui reste, tout comme la mort de son enfant, en travers de la gorge de cette mère en deuil.
Aujourd’hui retranchée dans un appartement inconnu, régulièrement menacée de mort, cette femme n’est venue ni pour appeler au calme, ni pour présenter ses excuses. « Lorsque j’ai dit que je n’imaginais pas que la police pouvait tuer des enfants blancs, ça ne signifiait pas que j’étais d’accord avec le fait qu’elle tuait des enfants noirs ou arabes. Je voulais juste dire que je savais qu’elle le faisait », se défend-t-elle simplement. Visiblement affolée, elle s’exprime pour extérioriser et exorciser sa douleur, expliquer sa transformation intime, et donner à entendre les bouleversements qu’un tel événement a provoqués en elle. Car, si Nathalie Couderc était une femme engagée, elle ne l’était pas autant que son fils. Elle regrette aujourd’hui de l’avoir parfois considéré comme un Cassandre et prend conscience, en étant meurtrie au plus profond, de la réalité concrète, et de la banalisation, des violences policières. « (…) en fait le problème que je voyais c’était toujours le racisme et pas vraiment la violence en tant que telle, l’utilisation de la violence, ce que les forces de l’ordre font du concept de (…) monopole légitime de la violence », résume-t-elle, avant de conclure : « La force qui ne tue pas, c’est celle qui ne tue pas encore. »
Cette métamorphose, Alice Zeniter l’a tricotée à la demande de Julien Fišera. Initialement, l’autrice souhaitait parler de Cédric Herrou, de l’aide qu’il apporte aux migrants de la vallée de la Roya et de ses condamnations judiciaires, mais au fil de ses discussions avec le metteur en scène, elle s’est déportée sur ce récit où une transmission générationnelle, même post-mortem, est capable de changer le regard sur le monde de celui qui la reçoit. À ceci près que, lorsqu’on tend l’oreille, son texte peine justement à faire bouger les lignes, dans son postulat de départ comme dans son déroulé, et à aller au-delà de ce qu’on sait, ou pressent, déjà sur les violences policières comme sur les mécaniques de transformation intime. Exception faite de quelques moments sensibles – l’espoir d’un Alzheimer prochain pour tout oublier, l’annotation des livres tel un rituel qui perdure pour garder contact avec le fils… –, ce monologue ne parvient pas à renouer avec la puissance et la pertinence des précédents écrits d’Alice Zeniter – L’Art de perdre, Comme un empire dans un empire, Je suis une fille sans histoire. Logiquement corsetée par la douleur de cette femme qui ne cesse de ressasser, sa pièce peine à avancer, piégée dans un surplace intellectuel qui ne lui permet jamais vraiment de prendre de la hauteur.
Surtout, l’orientation imposée par Julien Fišera s’avère largement contre-productive. Dans sa direction d’actrice, le metteur en scène ne réussit pas à exploiter le caractère circulaire et centrifuge de la langue d’Alice Zeniter. D’emblée, il place cette femme dans un état quasi second, dans une sorte de transe qui instaure une méfiance et une distance à son égard, et ne permet pas d’entrer en empathie avec elle. Il pousse Anne Rotger dans les retranchements d’un jeu largement forcé qui rogne la crédibilité de son personnage, et tend même à donner une légère impression d’artificialité. De Nathalie Couderc, on ne retient alors, au sortir, que l’image d’une mère en pleine crise de nerfs, qui, au-delà de sa douleur, désespère de se faire entendre.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
L’enfant que j’ai connu
Texte Alice Zeniter
Mise en scène Julien Fišera
Avec Anne Rotger
Collaboration artistique Nicolas Barry
Espace François Gauthier-Lafaye
Lumière et vidéo Jean Gabriel Valot
Images Jérémie Scheidler
Costumes Benjamin Moreau
Regard chorégraphique Thierry Thieû NiangProduction Compagnie Espace commun
Coproduction Le TAG / Amin Théâtre ; Théâtre Dunois ; Fabrique de Théâtre / Site européen de création ; Les Bords de Seine ; Grand-Orly Seine Bièvre
Un projet mené en partenariat avec l’Amin Théâtre / Le TAG.
Accueil en résidence Théâtre Paris-Villette ; Les Tréteaux de France, Centre dramatique national ; La Fabrique de Théâtre de Bastia ; La Ferme du Buisson, Scène nationale de Marne-la-Vallée ; Théâtre Dunois ; ; Théâtre Le Hublot, Colombes
Avec le soutien de La Chartreuse de Villeneuve lez Avignon – Centre national des écritures du spectacle ; Hublot Théâtre, Colombes ; Théâtre de la Ville-Paris
Alice Zeniter est représentée par l’ARCHE-agence théâtrale.
La Compagnie Espace commun est conventionnée DRAC Île-de-France.Durée : 1h05
Théâtre de la Ville-Paris, Espace Cardin
du 4 au 21 octobre 2022Bords de Scènes, Grand-Orly Seine Bièvre
le 16 février 2023Aghja, Ajaccio
les 9 et 10 marsLa Fabrique Théâtre, Site européen de création, Bastia
le 12 mars
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