Avec une précision remarquable, et Anna Mouglalis dans le rôle-titre, Anne-Laure Liégeois met en scène le classique de Racine sans chercher à réinventer le théâtre, et réussit son coup haut la main.
« Il faut de tout pour faire un monde » est un dicton aux antipodes de l’esprit critique. Soit. Il n’empêche, c’est bien à cet adage que nous pensons en sortant de la représentation de ce Phèdre monté par Anne-Laure Liégeois. Au théâtre public, souvent, les artistes qui s’attèlent à la mise en scène de classiques, comme les pièces de Racine, annoncent qu’ils vont donner à voir une interprétation inédite, faire résonner les sous-entendus, jusqu’ici tus, de l’auteur… Comment ça ? Nous n’avions jamais remarqué que Racine était un féministe avant l’heure ? Que Molière avait pressenti la dérive autoritaire du gouvernement Macron ? Que Beaumarchais réfléchissait déjà aux conséquences de l’IA sur le monde de travail ? Le théâtre sert aussi à décaper les textes séculaires, et certains artistes y arrivent, à merveille, quand d’autres se plantent, royalement. Re-soit.
Mais il faut aussi de tout pour faire un monde, parce qu’il est également agréable, de temps à autre, de voir d’humbles mises en scène, bien jouées, bien rythmées, bien caractérisées ; celles que l’on voit trop peu dans le théâtre privé. Ici, le décor minimal : des canapés se font face à cour et à jardin, un carré noir est une piste de jeu au centre de la scène. Un seul accessoire : une dague que porteront Hippolyte, puis Thésée. Et des costumes noirs ; près du corps pour certaines, amples pour d’autres. C’est d’abord une représentation de visages et de silhouettes, plutôt élégante. Dans ce dénuement, ce qui compte, c’est l’acteur. Son interprétation, son intensité, et surtout, sa façon d’éprouver la douleur : l’injustice subie par Hippolyte (Ulysse Dutilloy-Liégeois), que Thésée accuse d’avoir séduit sa femme Phèdre, l’amour non partagé de Phèdre (Anna Mouglalis) pour Hippolyte, le fils de Thésée, qui lui préfère Aricie, et la jalousie de Thésée (Olivier Dutilloy), persuadé par Œnone (Laure Wolf) que son fils l’a trahi.
Cette douleur, Phèdre la subit dans ses tripes (comme des coups de poignard dans le ventre), Hippolyte dans sa tête (parce que sa raison chancelle) et Thésée dans son intégrité royale (car il devient le jouet de sa passion, et d’une machination). La lisibilité des émotions est portée par le sens de rythme dont fait preuve Anne-Laure Liégeois. Jamais l’ennui ne guette. Les alexandrins ne sont pas trop appuyés ; la déclamation n’est pas trop grandiloquente. De telle sorte que le texte de Racine se déploie sans encombrer ses pauvres personnages, et que nous fûmes impressionnés par le talent d’Ulysse Dutilloy-Liégeois – repéré dans le Par les villages de Sébastien Kheroufi –, et celui d’Anna Mouglalis, qui s’en sort très bien, malgré la difficulté de sa partition. Du théâtre un peu scolaire, diront certains ; peut-être, un peu. Mais au théâtre, l’humilité est une qualité trop sous-estimée.
Igor Hansen-Løve — www.sceneweb.fr
Phèdre
Texte Jean Racine
Mise en scène et scénographie Anne-Laure Liégeois
Avec Anna Mouglalis, Ulysse Dutilloy-Liégeois, Olivier Dutilloy, Liora Jaccottet, Laure Wolf, David Migeot, Ema Haznadar, Anne-Laure Liégeois
Lumières Guillaume Tesson
Costumes Séverine Thiebault
Construction décor Atelier de La Comédie de Saint-ÉtienneCoproduction La Filature – Scène nationale de Mulhouse ; Equinoxe – Scène nationale de Châteauroux ; La Maison de la Culture d’Amiens – Scène nationale d’Amiens ; Le Méta – Centre dramatique national de Poitiers ; La Comédie de Saint-Etienne – CDN ; Le Manège – Scène nationale de Maubeuge ; La Maison / Nevers – Scène conventionnée Art en territoire ; Le Cratère – Scène nationale d’Alès ; L’AZIMUT – Théâtre La Piscine · Théâtre Firmin Gémier / Patrick Devedjian · Espace Cirque
Avec le soutien de L’École de la Comédie de Saint-Étienne / DIESE # Auvergne-Rhône-Alpes
Avec la participation artistique du Jeune Théâtre NationalDurée : 2h
Vu en janvier 2025 au Méta, CDN de Poitiers
Le Cratère, Scène nationale d’Alès
les 6 et 7 févrierLa Comédie de Saint-Étienne, CDN
du 11 au 14 février
La Maison / Nevers, Scène conventionnée Art en territoire
le 20 févrierThéâtre du Crochetan, Monthey (Suisse)
le 7 mars
L’Azimut, Théâtre Firmin Gémier, Antony
les 13 et 14 mars
Équinoxe, Scène nationale de Châteauroux
le 20 mars
La Filature, Scène nationale de Mulhouse
les 26 et 27 mars
Le Moulin du Roc, Scène nationale de Niort
le 1er avrilMaison de la Culture d’Amiens, Scène nationale
les 4 et 5 novembreLe Bateau Feu, Scène nationale Dunkerque
les 13 et 14 novembreLe Manège Maubeuge, Scène nationale transfrontalière
le 18 novembre
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