A la tête de la compagnie S’appelle reviens depuis 2002, la metteuse en scène, scénographe de formation, présente sa nouvelle création, Death Breath Orchestra, dans laquelle la musique réveille un monde éteint. Après plusieurs reports en raison de la pandémie, la pièce est enfin à l’affiche du Nouveau Théâtre de Montreuil, puis en tournée.
Death Breath Orchestra se présente comme un objet insolite et apocalyptique. Elle donne l’impression de faire la peinture d’un monde sinon éteint, du moins en suspens. Inévitablement, elle entre en écho avec l’actualité éprouvante de la crise sanitaire et des confinements successifs qui désormais lui font tenir un propos certes visionnaire mais qui n’est pas exactement celui d’origine. «De toute manière, la situation ne contredit pas ce qui est raconté au plateau. Je pense que l’état d’essoufflement du monde était déjà perceptible et insinué un peu partout avant que le Covid ne frappe et nous envahisse. Bien sûr, cela prend maintenant des proportions incroyables et imprévues » déclare la metteuse en scène.
Le spectacle qui réunit des instrumentistes appartenant à la famille des cuivres avait pour sujet de départ le souffle. Plutôt que les mots, ce sont l’inspiration et l’expiration, l’ahanement, l’halètement, qui forment le moyen d’expression principal de la pièce. Peu recommandé dans le contexte sanitaire évoqué, cela n’a pas entraîné de complications. C’est sans excès de panique que la partition respirante et hyper-ventilante s’est construite pas à pas, d’abord à partir de petits modules d’écritures musicales et rythmiques assez simples établis avec le compositeur Eric Recordier, et ensuite rediscutée, réinventée et amplifiée au cours des répétitions.
« Le souffle manque au monde mais la musique le porte en elle » souligne la metteuse en scène. C’est pourquoi, au tuba, Fanny Meteier, à l’euphonium, Tom Caudelle, au trombone, Hanno Baumfelder, à la trompette, Jérôme Fouquet et au cor, Augustin Condat & Abel Huré en alternance sont le poumon commun du spectacle. S’ils demeurent habitués aux formes concertantes, la plupart d’entre eux vit sa première expérience théâtrale.
La dimension musicale qui existe évidemment d’un point de vue sonore se matérialise aussi d’un point de vue visuel tant les corps et le décor sont traversés par un impressionnant système de tuyaux d’aération qui renvoie aux colonnes d’air des cuivres, au point que l’espace-machine qui se dévoile aux spectateurs s’apparente lui-même à un instrument géant.
Comme dans ça dada, Alice Laloy semble cultiver un goût prononcé pour une esthétique du chantier, de la tempête. Scénographe de formation, elle se définit comme « une bricoleuse » qui construit et déconstruit à l’envi. « J’aime voir la transformation agir. Voir des corps qui se métamorphosent, cela me parle beaucoup. Les corps, le décor, sont mes outils, ma grammaire intuitive. Je mets sur la même ligne les interprètes et le lieu qu’ils habitent. Tous sont des personnages à part entière qui se répondent et se complètent. Par exemple, lorsque les musiciens se désaniment, le décor s’anime en contrepoint. »
Plutôt que le saccage et la destruction, l’artiste convoque l’inertie, l’inanimé, mais pour mieux rechercher et surtout questionner le vivant. « Je prête aux objets une âme. Les marionnettes me fascinent à cause de la théâtralité qu’elles représentent. Je rêve de les voir sourire, respirer. J’espère les voir vivre. Je me sers du théâtre pour rendre cette chose possible » dit-elle.
De la même manière, elle célèbre la force du groupe et l’espoir. « Même à bout de souffle, les personnages jouent à la vie. Il y a quelque chose d’assez naïf mais de pur dans leur quête. Avec une foi et une énergie profonde d’y croire, ils vont essayer, échouer, faire et défaire, provoquer des expériences, continuer à jouer de la musique, et tenter de se réoxygéner. Ainsi, je vois des êtres qui continuent malgré tout. Leur contexte est sinistre et ils ne parviendront pas à le faire basculer mais ils vont tout faire pour le revitaliser ». Il n’y a sans doute pas métaphore plus éloquente de notre existence actuelle. Et puisqu’il s’agit d’espérer, Death Breath Orchestra est toujours programmé au festival MARTO en mars avant une reprise à l’automne prochain au Nouveau Théâtre de Montreuil et à au T2G à Gennevilliers.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Death Breath Orchestra d’Alice Laloy
avec
un quintette de cuivrestuba Fanny Meteier
euphonium Tom Caudelle
trombone Hanno Baumfelder
trompette Jérôme Fouquet
cor Augustin Condat & Abel Huré en alternanceécriture et mise en scène Alice Laloy
composition musicale Eric Recordier
dramaturgie Emmanuelle Destremau
scénographie Jane Joyet
stagiaires à la scénographie Lyse Bellon
costumes Louise Digard, Anne Yarmola
stagiaire aux costumes Cécile Gormond, Gaspard Swynghdauw
mannequins et marionnettes Carole Allemand, Julia Diehl, Laurent Huet, Einat Landais, Alexandra Leseur-Lecocq
orgue pneumatique Benjamin Hautin, Benjamin Vedrenne
accessoires Sarah Dureuil, Benjamin Hautin, Alice Laloy, Xavier Tiret
création lumière Jean-Yves Courcoux
régie générale et régie lumière Julienne Rochereau, Alexandre Vincent
régie plateau et accessoires Benjamin Hautin, Jean-Baptiste Leroux
construction du décor Les Ateliers Décorsproduction Nouveau théâtre de Montreuil – CDN
coproduction Théâtre Jean Arp, Cie S’appelle Reviens – cie conventionnée par la Drac et la Région Grand Est
avec la participation artistique du Jeune théâtre national
soutien Région Ile-de-France, ARTCENA, Catégories Dramaturgies plurielles, SPEDIDAM
Le texte de Death Breath Orchestra est lauréat de l’Aide à la création de textes dramatiques – ARTCENA
LA SPEDIDAM est une société de perception et de distribution qui gère les droits des artistes interprètes en matière d’enregistrement, de diffusion et de réutilisation des prestations enregistrées.du 8 au 24 oct 2021 Nouveau théâtre de Montreuil – CDN
du 18 au 20 fév 2022 T2G – Théâtre de Gennevilliers
02 et 03 mars 2022 Tandem scène nationale d’Arras et Douai
22 mars 2022 Theâtre Jean Arp, Clamart, Festival Marto
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