A l’Opéra national du Rhin, Amir Hosseinpour et Jonathan Lunn revisitent Alice au pays des merveilles avec une inventivité et une liberté totales inspirées par une composition inédite de Philip Glass.
Renforcé par les différentes adaptations cinématographiques signées Walt Disney ou Tim Burton, le succès populaire dont jouit l’héroïne de Lewis Carroll n’est plus à prouver, y compris sur les plateaux de théâtre et de danse. Sans doute moins connue des petits et grands enfants, Alice Liddell qui a inspiré le personnage éponyme à son auteur, est justement celle sur laquelle s’ouvre la création mondiale proposée par le Ballet de l’OnR d’abord à Mulhouse puis à Strasbourg. L’actrice Sunnyi Melles campe cette figure originelle que l’on découvre non sous l’aspect d’une allègre fillette mais sous les traits d’une vieille femme assoupie sur son fauteuil qui remonte, en songe, le fil de sa mémoire. A côté d’une télévision, se trouve un piano sommeillant. L’instrument qu’a pratiqué Glass dès sa jeunesse et pour lequel il a composé de nombreuses études, fait office de terrier dans lequel Alice s’empresse de suivre le fameux lapin blanc pressé.
Ce virevoltant lapin est génialement interprété par Pierre Emile Lemieux Venne avec une fantaisie tordante et une infaillible vélocité. Autour de lui, les talentueux danseurs s’amusent à donner du relief et du tempérament à la galerie de personnages qui peuplent le monde trouble et turbulent d’une Alice démultipliée. En effet, elles sont une myriade de danseuses sur le rôle, bondissantes et éperdues dans un univers sens dessus-dessous où lévitent en apesanteur chaise et guéridon, carte à jouer, théière fumante et cupcake. Elles arpentent un dédale où valsent des portes de différentes tailles. Grâce à un usage poétique de la vidéo, elles voyagent des fonds marins à une forêt initiatique, rencontrent le spirituel Chat du Cheshire (Ryo Shimizu), le chapelier fou (Cauê Frias, icône sur pointes des bas-fonds undergroud londoniens dans lequel Alice découvre la cigarette et ses effets), la Reine de cœur (pétillante Ana Karina Enriquez, Queen Elizabeth plus vraie que nature) à l’occasion d’un match de football particulièrement pêchu.
Avec rythme et fluidité, s’enchaînent les nombreux tableaux comme autant de visions qui surprennent, saisissent, déroutent. Ils évoquent l’enfance, l’apprentissage, le rêve, le danger mêlé au délice. Certaines trouvailles tiennent un peu du gadget mais dans l’ensemble, la pièce donne lieu à de beaux effets et garantit un juste tonalité ludique. Le tandem de chorégraphes joue la carte de l’humour et de l’ironie parodique. Pour entrer dans l’univers fantastique de l’écrivain britannique qu’ils font figurer sur le plateau en artiste solitaire et isolée comme en professeur bégayant devant une salle de classe particulièrement rieuse et agitée, ils n’hésitent pas à mettre en valeur le surréalisme et l’absurdité inhérentes à l’œuvre initiale. Nourrie de pleins d’influences, la danse joyeuse et débridée est imprégnée d’une forte théâtralité.
Le monde de l’enfance n’est pas non plus étranger à Philip Glass, comme en témoignent Orphée, La Belle et la Bête, et Les Enfants terribles qui constituent sa célèbre trilogie opératique consacrée à Cocteau. La partition inédite qui accompagne le ballet, toujours volontiers répétitive et minimaliste, sied bien aux charmes envoûtant du conte. Ses nappes sonores, ses boucles musicales, ses accents romantiques bien qu’éthérés, ses volutes délicatement aériennes, sa dynamique rythmique contiennent une portée profondément onirique et émotionnelle, aussi bien dans les parties seules pour piano (subtiles interludes somnambuliques) que dans les passages moins intimistes pour orchestre complet impeccablement dirigés par la cheffe Karen Kamensek.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Alice
Musique
Philip Glass
Chorégraphie, dramaturgie
Amir Hosseinpour, Jonathan Lunn
Direction musicale
Karen Kamensek
Scénographie, costumes
Anne Marie Legenstein
Lumières
Fabrice Kebour
Vidéo
David Haneke
Peintures
Robert Israel
CCN • Ballet de l’Opéra national du Rhin, Orchestre symphonique de Mulhouse
Les Artistes
Actrice
Sunnyi MellesMulhouse
La Filature
Du 11 au 13 février 2022Strasbourg
Opéra
Du 18 au 23 février 2022
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