Compagnonnage renouvelé entre l’autrice Lola Molina et le metteur en scène Lélio Plotton avec le comédien Laurent Sauvage, qui se voit confier une partition sur mesure, un spoken word mélancolique et contemporain, écho d’un monde qui brûle et d’un cerveau en ébullition. Performance hybride, concert théâtral les yeux dans les yeux avec le public, Album déploie une langue toute cinématographique et une bande son électrique.
D’abord il y a un texte, projeté en fond de scène. Blanc sur fond noir. Programmatique. Puis une musique qui pourrait être une bande originale de cinéma. Laurent Sauvage entre par la salle, pieds nus, en costume ajusté, se plante face à nous à l’avant-scène, micro en main, voix ténébreuse, regard fiévreux. Là est l’équation qui compose le terreau labouré par l’autrice Lola Molina et le metteur en scène Lélio Plotton en un binôme fertile. Le texte, la musique et l’acteur, trinité minimale et entrelacée en un même geste. Ce n’est pas la première fois que Lola Molina écrit pour Laurent Sauvage, mais, avec Album, la démarche est radicale. L’écriture est littéralement cousue sur mesure pour le comédien à la présence magnétique, brodée sur son prénom, son patronyme. Comme une confession imaginaire. Sans autre accessoire que son micro, dans un spoken word vertigineux, l’acteur scande ce texte sombre et incandescent qui lui va comme un gant. Et l’écrit ici s’incarne dans son timbre et son débit autant qu’il s’immisce dans la scénographie jusqu’à envahir le plateau, s’imprimer à même la peau, imposer son flux et son flow.
Un monologue éclaboussé d’impressions éparses qui renoue avec les motifs explorés par l’autrice : la nuit, la marge, la mort. Un monologue fragmenté qui appelle des images fortes et violentes, éphémères et mouvantes, des changements de focale, des accélérations et des plans larges. Il y a quelque chose d’éminemment cinématographique dans cette langue expressive qui aime s’arrêter sur des détails en des zooms évocateurs, avancer au rythme de la pensée qui s’évade et passe du coq à l’âne, véhiculer un mélange détonnant de lucidité et d’onirisme, de réalité évanescente et de poésie crue. La musique, d’autant plus essentielle qu’il s’agit d’un contexte de concert, un live électrique devant une foule en furie, accompagne au plus près le déroulé et ses méandres, ses nuances et ses apogées. Ambiance de film à suspense, accords de guitare, percussions galopantes, et surtout ce rock abrasif et tellurique qui s’immisce en épiphanies ponctuant un récit volontairement décousu, parcouru de soubresauts et fulgurances. Comme un big bang de sensations qui se télescopent et arrivent à saturation dans des boucles et larsens de texte. À l’image d’un cerveau branché sur secteur, électrisé par le courant qui passe. Entre lui et le public, entre lui et son amour, entre lui et la musique.
À la scénographie, Adeline Caron compose un espace hybride et mystérieux, un sol de terre d’où jaillissent quelques arbustes argentés, comme des végétaux calcinés ça et là, ersatz d’une ancienne forêt ou d’espèces robustes ayant résisté aux ravages incendiaires. L’espace est sculpté par des faisceaux de lumière – une création hypnotique de Maurice Fouilhé – et des halos de fumée pris dans les rais qui accentuent une esthétique de concert sulfureux. Comme un arbre planté au milieu, jambes légèrement écartées, bras le long du corps, Laurent Sauvage est dans son élément. Statique physiquement, tout son corps semble pourtant vibrer intensément de la partition qu’il transmet. En fond de scène, la vidéo offre les gros plans d’un oiseau qui annonce la mésange évoquée ou des scènes de concert en noir et blanc. Album est un poème punk débridé, traversé de désespoir et d’un sentiment d’étrangeté tenace, une errance littéraire et musicale qui se traduit dans un face-à-face sans concession avec le public, la confession d’un homme aux prises avec son époque, ses peurs et ses révoltes, pris dans les mailles de ses drames et tenu debout par sa propre flamme. Et lorsque Laurent Sauvage chante, on pense à toutes ces voix graves qui ont marqué l’histoire musicale. On se laisse bercer, entraîner loin dans ce dispositif mental immersif et pénétrant qui dit la force incantatoire de l’union de la musique et des mots.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Album
Texte Lola Molina (Éditions Théâtrales)
Mise en scène Lélio Plotton
Avec Laurent Sauvage
Scénographie Adeline Caron
Création lumières Maurice Fouilhé
Création sonore Bastien Varigault
Composition guitares Julien Varigault
Composition chansons Thomas LandboProduction Compagnie Léla
Coproduction Halle aux Grains, Scène nationale de Blois ; L’Antre-peaux – Bourges
Avec le soutien de La Chartreuse – Villeneuve-les-Avignon, du CDN d’Orléans – Centre-Val de Loire, de la Ville de Bourges et de Théâtre OuvertLe texte a reçu l’aide du Dispositif de soutien du ministère de la Culture à la commande d’écriture d’oeuvres dramatiques et du Centre National du Livre.
Durée : 1h
La Manufacture, dans le cadre du Festival Off d’Avignon
du 14 au 22 juillet, à 20h (relâche le 17)
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