Donnée à l’Opéra national du Rhin et servie par un jeune plateau vocal, dont Adèle Charvet dans le rôle-titre, la nouvelle production de l’opéra de Haendel, que signent Jetske Mijnssen à la mise en scène et Christopher Moulds à la direction musicale, gagne en intérêt et en épaisseur à mesure qu’elle s’enfonce dans le drame.
Extirpé de la cour d’Écosse moyenâgeuse décrite dans son livret, comme dans l’Orlando furioso de l’Arioste qui le précède et l’inspire, l’opéra Ariodante créé en 1735 à Londres n’en demeure pas moins une affaire dynastique bien contemporaine dans la lecture qu’en fait la metteuse en scène Jetske Mijnssen. Celle-ci cristallise les errances et rivalités amoureuses d’une famille socialement favorisée, mais mise à l’épreuve d’un état de crise névrotique. Tout prend source dès l’enfance, comme le suggère le jeu alerte et faussement innocent auquel se livrent une poignée de bambins semi-déguisés pendant l’ouverture. Se nouent aussitôt les prémices du drame, alors que l’immense majorité des personnages de l’intrigue sont réunis dans le décor imposant d’une grande salle à manger bourgeoise où s’affaire une abondante domesticité. Les mômes s’amusent à imaginer le mariage à venir entre Ariodante et Ginevra, mariage espéré, mais aussi menacé par l’avidité de Polinesso, détestable rival du rôle-titre, tandis que Dalinda, qui a des penchants pour lui, est vainement aimée par Lurcanio. Lorsque tous grandissent, s’exacerbent des êtres et des cœurs toujours aussi contrariés. Un stratagème trompeur mis en place par Polinesso accuse la princesse d’infidélité, et convainc Ariodante de se retirer pour se donner la mort, avant qu’il ne découvre la machination orchestrée par le duc et que ce dernier en soit puni lors d’un duel à l’épée superbement réglé.
Le travail scénique de Jestke Mijnssen se concentre sur une direction d’acteurs qui prend soin de faire exister tous les personnages dont la complexité psychologique, déjà amplement développée dans le discours musical, est renforcée par un jeu de plus en plus organique et engagé. Au premier acte, tout semble paisible et voué aux réjouissances. Manquant d’aspérité, cette première partie passe pour un peu gentillette, voire convenue, avec une Ginevra qui joue à la coquette, et dispose des fleurs en bouquets, et un Ariodante sans trop de relief. Mais la suite devient plus intense et émouvante à mesure que l’espace se dépouille, s’élargit et s’obscurcit, laissant apparaître une enfilade de pièces vides et glauques où chacun est livré aux errements et à la solitude. Copieuse et fastueuse, la partition se voit privée de ses parties dansées – ajouts de Haendel pour la troupe de la danseuse Marie Sallé –, ce qui permet de rendre plus sèches et haletantes les fins d’actes qui tombent comme de véritables couperets, construits de façon parallélique par la chute brutale du patriarche affaibli pris d’une crise cardiaque, puis de Ginevra au désespoir qui vient de céder à ses tendances suicidaires.
Christopher Moulds dirige l’Orchestre symphonique de Mulhouse auquel il insuffle, grâce à des tempi vifs, parfois presque un peu trop précipités, une belle et sautillante dynamique, mais sans ménager suffisamment de variations et de modulations en fosse, comme sur scène, rendant l’ensemble certes pêchu, mais aussi un peu trop étale. Côté distribution, s’impose d’emblée le diabolique Polinesso, rôle dont le contre-ténor Christophe Dumaux est bien familier. Le chant mordant se montre d’une incroyable facilité tandis que le jeu conjugue, sans aucune manière, cynisme et désinvolture. On retient également le mélange d’autorité et de vulnérabilité du père incarné par Alex Rosen, la rayonnante fougue juvénile de Laurence Kilsby dans le rôle de Lurcanio, comme la délicieuse Dalinda que campe Lauranne Oliva. Le couple principal se distingue quant à lui par la fraîcheur et la justesse de sa musicalité.
Si les voix semblent manquer de couleur et d’éclat dans la partie pastorale, elles prennent du relief dans la suite plus dramatique. L’aisance est certaine dans les vocalises que réclament les grands airs de bravoure qui, néanmoins, pourraient sonner de manière plus corsée, plus charpentée. C’est dans les parties les plus pathétiques que séduisent davantage Adèle Charvet – sa fameuse plainte, Scherza infida, accompagnée au basson est chantée sans emphase et avec un dépouillement confondant –, et Emőke Baráth, si poignante dans Il mio crudel martoro chanté non comme une simple lamentation, mais comme un véritable moment d’autodestruction en se scarifiant les avant-bras. Moins naïvement crédule que le voudrait le lieto finale proposé par Haendel, la fin du spectacle laisse en suspens les retrouvailles des personnages enamourés, dont le mariage vire au désastre moribond.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Ariodante
de Georg Friedrich Haendel
Livret d’après Ginevra, Principessa di Scozia d’Antonio Salvi
Direction musicale Christopher Moulds
Mise en scène Jetske Mijnssen
Avec Alex Rosen, Emőke Baráth, Adèle Charvet, Laurence Kilsby, Lauranne Oliva, Christophe Dumaux, Pierre Romainville et les enfants de la Maîtrise de l’OnR
Chœur de l’Opéra national du Rhin
Chef de chœur Hendrik Haas
Orchestre symphonique de Mulhouse
Décors Étienne Pluss
Costumes Uta Meenen
Lumières Fabrice KebourProduction Opéra national du Rhin
Coproduction Royal Opera House Covent GardenDurée : 3h30 (entractes compris)
Opéra national du Rhin, Strasbourg
du 6 au 13 novembre 2024Théâtre de la Sinne, Mulhouse
les 22 et 24 novembreThéâtre municipal de Colmar
le 1er décembre
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